Depuis la nuit des temps, l’Humanité a pu observer un ciel nocturne rempli d’étoiles. Elle peut en contempler quelque 200 à 300 milliards. Pourtant, depuis l’avènement de la lumière artificielle il y a
un peu plus de 150 ans, la visibilité des étoiles du ciel disparaît. La voie lactée n’est plus qu’un lointain
souvenir. Dans les deux grandes villes de la région lémanique les citadins ne voient la nuit plus que
80 à 250 étoiles.
En lointaine périphérie et dans la campagne en plaine, loin des lacs, les habitants distinguent entre
250 et 1’000 étoiles. Ils peuvent lors de bonnes conditions voir la Voie Lactée. Dans la Vallée, et
davantage dans le Pays d’en Haut, les habitants peuvent compter jusqu’ à 3’000 étoiles et s’émerveiller
devant le spectacle de la Voie Lactée. Celle-ci prend seulement toute sa beauté au milieu des océans
et loin des continents. Aujourd’hui, Vincent van Gogh ne pourrait plus peindre son célèbre tableau « La Nuit étoilée », peint en 1889 à Saint-Rémy-de-Provence, car la nuit y est actuellement aussi claire qu’au bord du lac Léman.
Or il n’y a pas que l’humain qui perd ses nuits. La faune et la flore s ‘en trouvent fortement impactées
aussi. Les oiseaux migrateurs qui volent la nuit s’orientent d’après la Lune ou les champs
magnétiques. Par temps couvert, la nuit, des bâtiments fortement éclairés attirent ces oiseaux qui
viennent s’écraser contre leurs façades. Chaque nuit d’été, des millions d’insectes, dont des
pollinisateurs, viennent s ‘épuiser ou se brûler autour des lampadaires de l’éclairage public. Les zones
fortement éclairées comme le long de certaines routes créent des barrières lumineuses que beaucoup
d’habitants de la nuit n’osent franchir, réduisant ainsi leurs territoires de chasse ou de reproduction.
Ceci peut facilement s’observer chaque année vers la fin du mois de juin au Parc Louis Bourget à
Vidy lors du vol nuptial des lucioles.
Outre une substantielle réduction de consommation d’énergie électrique jusqu’à 30% pour des
communes ayant tenté l’expérience, la réduction de la pollution lumineuse peut améliorer le sommeil
des riverains. En choisissant le bon spectre lumineux des éclairages publics, et notamment en évitant
les LEDs émettant dans les couleurs bleues, il est possible de réduire les risques de développement
de certaines maladies tels que des cancers liés à la sécrétion de la mélatonine [1].
Rendre l’obscurité à la nuit
Selon l’OFEV, les émissions lumineuses dirigées ou reflétées vers le haut ont plus que doublé entre
1994 et 2012. La plupart des Suissesses et Suisses vivant sur le plateau et surtout dans les villes n’ont
plus vu la Voie Lactée depuis longtemps. Même l’essentiel des étoiles leur reste invisible. Dans le
pire des cas, ils ne peuvent que contempler le halo orangé qui leur sert de cicl.
Retrouvcr un ciel sombre, un paysage nocturne, rempli d’étoiles, passe par la diminution de
l’éclairage artificiel. Pour vivre par anticipation un avenir de ciel sombre, il est possible de tenter de
couper l’éclairage le temps d’un soir sans lune, dans une commune, au niveau d’un district, voire au
niveau de tout le canton, et admirer la richesse en étoiles du ciel. Rendons donç la Voie Lactée aux
Vaudoises et Vaudois !
Protéger la biodiversité
L’être humain est une espèce diurne qui effectue l’essentiel de ses activités le jour. La nuit est le
royaume des animaux nocturnes et ils sont légion. Parmi les plus connus on trouve les chauves-souris,
mais l’essentiel des habitants de la nuit sont les arthropodes (insectes, arachnides, myriapodes) qui
s’affairent à l’abri de la lumière. Dans ce groupe, l’on retrouve les papillons de nuit qui jouent un rôle
dans la fécondation des fleurs, et servent de repas à d’autres animaux plus hauts sur la pyramide
alimentaire.
Dans certains cas, la lumière artificielle diminue le territoire de chasse ou de reproduction des
animaux nocturnes. Mais ce que nous connaissons le plus est l’effet d’une forte attirance des
lampadaires sur les insectes. L’effet d’aspirations peut s’exercer jusqu’à une distance de 700 m qui
est bien supérieure à la distance habituelle séparant les lampadaires sur une route. De ce fait, ces
lampadaires créent des barrières lumineuses presque infranchissables pour les insectes. Ainsi, la
lumière qui est sensée relier les hommes sépare les insectes par une fragmentation de leur territoire.
De plus, les ampoules piègent et épuisent ou brûlent leurs captifs [2,3].
L’éclairage artificiel est une des causes de l’hécatombe importante de la biomasse entomofaune à
laquelle nous assistons ces demières décennies. « En vingt ans, les émissions lumineuses dirigées
vers le haut ont augmenté de 70% en Suisse, constate Laurence von Fellenberg, de la division
Espèces, écosystèmes, paysages à l’OFEV » [4].
« Chaque nuit d’été, en Suisse, des millions d’insectes meurent ou gaspillent leur énergie à
tourbillonner autour des lampadaires, estime le biologiste Fabio Bontadina, de l’association SWILD,
spécialisée en écologie urbaine » [5].
Il est impératif de protéger les sites naturels tels que les bords de forêts, les prairies sèches, les zones
humides et les bords des eaux de la pollution lumineuse.
Parfois, il suffit de réguler la lumière artificielle pendant les heures critiques de la nuit, ou dans
certaines périodes de l’année pour avoir un effet de protection important.
Réduire la facture d’électricité des communes D’après les statistiques fédérales, l’éclairage public en Suisse en 2017 a consommé 401 GWh d’électricité. Cela représente environ 0.7% du total de l’électricité utilisée. L’on observe une tendance baissière en la matière, laquelle est probablement due à l’efficacité supérieur de la technologie des LEDs, en comparaison des anciennes ampoules. Pourtant, la luminosité nocturne ne cesse d’augmenter d’environ 2% par an ! [6] Dans le canton de Neuchâtel, le législatif du Val-de-Ruz a décidé d’éteindre dès 2019 ses lampadaires entre minuit et 4h45 du matin. Il espère réduire ses 4’200 heures d’éclairage de 1’700 heures, et ainsi économiser environ 34’000 francs [7,8]. La technologie LED permet également de réduire, par paliers, l’intensité d’éclairage à mesure que le soir avance. La ville d’Yverdon-les-Bains est d’ailleurs en train d’appliquer cette stratégie, avec plus du tiers de ses luminaires désortnais équipés de la technologie dynamique. Ces lampadaires vont, suivant l’endroit, jusqu’à l’extinction totale et les avis de la population sont excellents, selon le Municipal des Energies d’Yverdon, Pierre Dessemontet. La ville d’Yverdon a par ailleurs aussi procédé à quelques expériences avec les températures de couleurs effectives des luminaires.
Au centre-ville, les luminaires seront équipés de lampes avec une lumière de température effective de
2’700 K, laquelle pourrait même descendre à 2’200 K.
Réduire la consommation d’énergie électrique la nuit deviendra à l’avenir de toute façon nécessaire
si, faute de trouver une bonne technique de stockage, cette énergie proviendra principalement de
sources de production renouvelables. L’éclairage public nocturne entrera, dans ce cas, forcément en
concurrence de ressources avec une mobilité à base électrique et une consommation domotique
croissantes.
D’autres communes, d’autres régions ou d’autres pays réduisent leur pollution lumineuse
D’autres pays ont déjà pris des mesures pour réduire la pollution lumineuse. La Tchéquie a été en
2002 le premier pays du monde à introduire une législation spécifique pour la réduction de la pollution
lumineuse.
Avec sa récente Loi sur la biodiversité, la France s’est donné des moyens pour en faire de même [9].
En août de l’année 2018, le Parc national des Cévennes a ainsi rejoint le club grandissant des régions
qui cherchent à protéger leur ciel en devenant une « Réserve internationale de ciel étoilé ». Depuis
lors, le parc utilise ce label dans sa promotion touristique. « Les principales préconisations portent
sur la limitation de la température de couleur des sources lumineuses (2’000 K en cœur et 3’000 K en
zone tampon), l’orientation du flux lumineux vers le sol (ULOR/ULR < 1%) et l’optimisation des
modes de gestion (gradation de puissance, extinction en milieu de nuit…) » [10].
Dans le canton de Berne, des habitants travaillent sur un projet de « Paysage nocturne dans le parc
naturel du Gautrisch ». Il ne manque plus que le Parc Jura vaudois ou le Parc Gruyère Pays d’Enhaut
pour valoriser leur propre ciel, et en faire un atout culturel et touristique.
Plus proche de nous, la ville d’Annemasse en Haute-Savoie a organisé une extinction nocturne de
l’éclairage public dans certains de ses quartiers afin d’observer les étoiles et montrer les constellations
aux habitants.
Des solutions existent
Depuis de nombreuses années nous constatons une progression insidieuse de la pollution lumineuse de notre ciel. Beaucoup d’entre nous n’ont même pas remarqué que la Voie Lactée a disparu. Par la presse nous avons également appris en 2018 que la plupart de nos insectes et beaucoup de nos oiseaux ont également disparu. Pour une partie de ces problèmes, la pollution lumineuse artificielle en est la cause, mais il existe des solutions techniques ainsi que des modifications de comportement pour y remédier. Dans certains cas, on peut réduire les émissions, ou en changer le spectre, sans nuire à l’objectif d’éclairer. Dans d’autres cas, il sera nécessaire d’éliminer la lumière artificielle de certaines zones afin de préserver un cspace de vie aux animaux de la nuit. Mais pour ce faire, les autorités cantonales et communales doivent se donner les connaissances utiles pour mettre en place une stratégie raisonnée qui, ensuite, pourra améliorer notre cadre de vie tout en économisant des dépenses énergétiques. Les milieux naturels se trouveront renforcés. Le Canton pourra ainsi aider les communes qui ont déjà commencé des démarches de réduction de la pollution lumineuse, et profiter de l’occasion pour rendre visible la Voie Lactée à ses habitants.
Aussi ai-je l’honneur, au nom du Groupe socialiste, de demander au Conseil d’Etat de bien vouloir étudier l’opportunité de :
1 . établir une planification territoriale afin de limiter la pollution lumineuse sur tout le territoire du canton, soit créer en tant qu’outil de planification et de gestion, une cartographie de la pollution
lumineuse nocturne ;
2. identifier les zones naturelles critiques qui mériteraient des mesures de protection nocturne
spécifique, et d’établir des directives régissant l’éclairage dans les zones riches en biodiversité à
protéger (bords de lacs, lisières de forêts, zones humides, prairies sèches, créations de corridors
d’obscurité, etc….) ;
3. élaborer des directives cantonales concernant les horaires et les périodes saisonnières d’éclairage
autorisés afin de réduire la pollution lumineuse au strict nécessaire ; ces directives doivent
également réguler l’extinction des éclairages des bureaux et des commerces lorsque plus personne
n’occupe ces locaux, de même que réguler l’extinction des supports publicitaires divers, lorsque
peu de personnes les voient, notamment la nuit ;
4. développer ou introduire des normes déjà existantes concernant les types de lampes à éclairage
directionnel et les spectres d’émission souhaités ; l’éclairage extérieur, public ou privé, devrait
éviter au maximum les nuisances à la santé humaine, aux animaux et insectes nocturnes tout en
diminuant la pollution lumineuse du ciel ;
5. encourager les communes vaudoises, pour celles qui ne l’ont pas encore fait, à établir des plans
lumières spécifiques et complémentaires à celui du canton ;
6. créer des directives qui faciliteraient l’organisation ponctuelle et régionale d’une extinction de
toute lumière extérieure le temps d ‘une ou plusieurs nuit(s) sans Lune afin d’offrir à la population
locale un ciel plein d’étoiles