L’examen des effets pratiques probables d’Ecopop est très intéressant. Vraisemblablement, l’application d’Ecopop conduira à un boom des frontaliers, concentrant le développement économique dans une bande de terrain à moins de 50 KM de la frontière. Un développement qui n’a rien d’écologique. En outre, accélérant le remplacement de l’industrie par la finance, elle stimulera la transformation de la Suisse en paradis ploutocratique, le fameux Richistan. Analyse.
Que se passerait-il en cas d’acceptation de l’initiative populaire Ecopop? L’examen de ce scénario permet de voir si les espoirs de ses promoteurs vont se réaliser. Pour pouvoir l’examiner en détail, il est nécessaire de formuler quelques hypothèses, que j’espère avoir choisi de manière réaliste :
1. J’admets, de manière légèrement simplifiée, qu’Ecopop remplace l’initiative UDC « contre l’immigration de masse »: cette hypothèse est assez réaliste, du moment qu’Ecopop vise les mêmes objectifs restrictifs sur l’immigration, qu’elle est plus précise et draconienne sur les objectifs (0,2%) mais moins précise sur les moyens.
2. L’initiative Ecopop exige explicitement de dénoncer l’accord sur la libre circulation des personnes, dans un délai de quatre ans. J’admets donc, vu le libellé du texte, que les accords bilatéraux dans leur globalité disparaissent, en raison de la clause guillotine qui lie entre eux plusieurs accords bilatéraux.
3. La rédaction d’Ecopop est contradictoire selon les versions linguistiques, mais j’admets que c’est le texte allemand, moins restrictif, qui s’applique: seuls 17’000 nouveaux permis de résidence sont octroyés chaque année.
4. J’admets qu’il n’y a aucune restriction sur les frontaliers, puisque le texte d’Ecopop n’en parle pas, et puisque c’est le point sur lequel l’UDC ne défend pas réellement son texte. Les entreprises sont libres de recruter autant de frontaliers qu’elles entendent. Elles ont des relais politiques suffisamment forts pour garder cette liberté.
Au niveau économique, on peut imaginer les effets suivants :
À partir du moment où les accords bilatéraux auront été résiliés, il ne sera plus nécessaire de suivre les règles du jeu de l’Union européenne. Il y aura un boom dans tout le secteur financier, grâce à la renaissance du secret bancaire à l’ancienne, au développement incontrôlé de la Suisse comme centre du commerce des matières premières et à l’arrêt des efforts de mise en conformité (échange automatique d’informations et dumping fiscal pour attirer les sièges des entreprises). L’OCDE maintiendra certes sa pression, mais elle n’a pas le même poids que l’UE. La tentation sera très forte d’attribuer le maigre contingent d’immigration pour faire habiter les « extra Wealthy Individuals »[1] dans le coffre-fort, selon le wording des gestionnaires de fortune.
Le franc suisse subira une très forte pression à la hausse, parce que la renaissance du secret bancaire à l’ancienne provoque un afflux d’argent non déclaré en Suisse. La limite des 1.20 CHF par euro deviendra intenable.
Les secteurs orientés vers l’exportation sortiront affaiblis de la revalorisation du franc. Ceux qui exportent vers l’Europe subiront en outre des obstacles juridiques et pratiques supplémentaires consécutifs à la disparition des accords bilatéraux : par exemple, une entreprise suisse aura de la peine à envoyer des monteurs pour mettre en fonction une machine en Allemagne ou en France. Il en va de même pour les exportations de produits agricoles transformés, pour ne citer que cet exemple.
L’attrait de la Suisse pour les frontaliers augmentera fortement : avec un franc suisse plus fort, le salaire permettra un niveau de vie plus élevé dans leur zone d’habitat, de l’autre côté de la frontière.
La pression sur le prix du sol augmentera, par le cumul de deux effets: premièrement, la demande des acheteurs étrangers désireux d’utiliser l’immobilier comme placement permettant d’échapper à leur fisc national augmentera. D’autre part, l’accaparation foncière par les « extra wealthy individuals » sera très forte.
Globalement, il est vraisemblable qu’à court et moyen terme, ces effets contraires s’équilibrent: ce que la Suisse perdra en économie réelle (production de richesses), elle le regagnera par le braconnage de richesses (croissance très rapide du secteur financier). Après quelques années de cette évolution, il est cependant probable que la communauté internationale mette une pression majeure sur la Suisse, et que le château de cartes financier s’effondre. Nous aurions alors affaibli notre économie réelle et la bulle financière aurait explosé.
Avant ce point de rupture, quelle sera l’évolution ? Vraisemblablement, la demande intérieure ne diminuera pas. Et le pouvoir d’achat des super-riches étant très important, il pourrait compenser l’affaiblissement de l’exportation. À condition que ces personnes dépensent suffisamment ici. L’ouvrier qui perdra son emploi dans l’industrie des machines suite à Ecopop devra se recycler comme concierge chez un nouveau super-riche venu avec son argent pour habiter dans le coffre-fort.
Comme la Suisse continuera à sous-investir dans le domaine des formations longues, la pénurie de personnel indigène se maintiendra. Sous le régime d’Ecopop, le seul moyen d’y répondre sera d’engager des frontaliers. Géographiquement, le développement économique se fera donc essentiellement sur une bande d’une cinquantaine de kilomètres de large, mesurée depuis la frontière vers l’intérieur du pays. C’est en effet la distance qu’un frontalier peut facilement franchir en voiture le matin pour repartir le soir. Cela rappelle la logistique des bantoustans.
Il va sans dire que le trafic pendulaire transfrontalier se fera en voiture, faute de transports publics efficaces. C’est précisément ce qu’on observe aujourd’hui déjà au Tessin, à Genève ou dans les montagnes neuchâteloises par exemple. La généralisation du système de frontaliers posera d’énormes problèmes sur le marché du travail, dès lors que le franc suisse sera renforcé : le même salaire sera à la fois très attrayant pour un frontalier et insuffisant pour un habitant local. L’alimentation permanente des ressentiments anti-étrangers est garantie.
Dans un autre article, j’ai expliqué qu’Ecopop ne résoudrait aucun problème environnemental. En rédigeant la présente analyse, je m’aperçois que c’est pire: en réalité Ecopop aggravera deux problèmes environnementaux majeurs, à savoir le trafic pendulaire individuel motorisé et la consommation énorme de sol pour la construction des villas et des lofts des « extra wealthy Individuals ».
L’initiative Ecopop est positionnée comme initiative contre les excès de la croissance. L’examen de ce scénario montre en réalité que son acceptation aboutira à renforcer le moteur de la surchauffe de la Suisse, à savoir la sur-attractivité fiscale. En effet, notre pays a généralement de la peine à résister à cette tentation. Les accords bilatéraux constituent un cadre international qui limite actuellement cette stratégie de dumping fiscal. Leur disparition va déclencher une véritable fuite en avant, d’autant plus que l’on cherchera à compenser par anticipation l’affaiblissement du secteur productif. La politique environnementale de la Suisse se limitera de plus en plus à la gestion des quantités d’engrais admissibles sur les pelouses entourant des villas des clients des gestionnaires de fortune. Gageons que l’on fixera la norme à un niveau très élevé, en argumentant que sinon, ces habitants risquent de s’en aller. Quant à l’idée que le sol deviendra plus accessible à la population locale, elle est totalement illusoire. À Freienbach ou St-Moritz, les « indigènes » sont déjà exclus de l’accès à la propriété foncière. Demain, ce sera le cas partout si nous laissons Ecopop transformer la Suisse en Richistan.
Outre la probabilité d’un crash à moyen terme sous la pression internationale, la démographie est l’autre élément qui pourrait conduire à l’échec à long terme de la stratégie du Richistan. Alors que l’immigration compense actuellement la faible natalité en Suisse, l’entrée en vigueur d’Ecopop arrêtera brusquement ce correctif, accélérant le vieillissement et la transformation de la Suisse en un vaste EMS.
Autrement dit, le scénario le plus vraisemblable est le suivant: l’initiative Ecopop va dans un premier temps aggraver les problèmes qu’elle prétend résoudre. À plus long terme, elle pourrait amener un appauvrissement généralisé en cas de crash.
Il faut donc rejeter Ecopop, mais cela ne doit pas interdire de poser un regard critique sur les développements en cours en Suisse. L’obsession des impôts bas pour les plus fortunés et les entreprises internationales produit des effets pervers à la chaîne:
Sur-chauffe dans plusieurs régions du pays, en raison de la sur-attractivité fiscale. Cela se traduit par un besoin d’immigration forte.
Déficits publics dans de nombreux cantons, également en raison d’impôts trop bas. On économise alors sur l’offre de formation au lieu de la renforcer. Avec pour résultat d’aggraver la pénurie de main-d’œuvre au lieu de la résorber. La même chose vaut pour les efforts de compatibilité entre la vie familiale et professionnelle.
Fautes de recettes fiscales, on ne finance pas suffisamment la modernisation énergétique et écologique de nos infrastructures: Il suffit de penser par exemple à l’assainissement du parc de bâtiment où à la nécessité d’équiper les villes moyennes et les couronnes des agglomérations en transports publics. On est loin de l’écologisation souhaitée par certains appuis d’Ecopop.
Pour l’instant, la Suisse pratique la fuite en avant: le dumping fiscal attire de l’activité économique en Suisse, ce qui permet de masquer le conflit distributif. Or, il conviendrait de renforcer le financement des solidarités: vieillissement démographique, politique familiale, bourses d’études, logement à des prix accessibles. Cela nécessitera une plus forte redistribution fiscale. Politiquement, la recherche de la croissance dopée au dumping est évidemment plus confortable à court terme que le langage de la responsabilité fiscale, de la solidarité et de l’investissement public. Mais elle finit par enfermer notre pays dans une attitude aussi schizophrénique que stérile: nous appuyons à fond sur l’accélérateur fiscal tout en tentant de tirer le frein à main migratoire. Cela ne peut que finir par un tête-à-queue qui n’est pas dans l’intérêt de la population.
Le 30 novembre, au lieu de soutenir Ecopop, il est possible de prendre une décision intelligente pour agir à la racine du problème. En votant pour l’abolition des forfaits.
[1] C’est-à-dire les « individus particulièrement riches », dans le franglais des divisions de marketing des banques de gestion de fortune.