Cette droite, revenue à la manœuvre tant au Conseil fédéral qu’au parlement depuis les dernières élections, se moque de la réalité des faits. Elle défend, pour son aile la plus moderne, une armée d’hier et pour l’aile plus conservatrice, comme le groupe Giardino, une armée d’avant-hier. Cette droite idéologue et revancharde oublie que la sécurité nationale, dans le contexte actuel, ne repose d’abord plus sur une gigantesque armée, surdotée en hommes et en matériel militaire conventionnel, repliée sur ses frontières, mais d’une part sur une armée, internationalement non partisane, participant à la sécurité collective avec des collaborations structurelles avec les pays voisins, et d’autre part sur une prévention efficace de l’extrémisme violent.
La droite parlementaire est incapable de tirer les leçons des actes terroristes qui ensanglantent l’Europe depuis des années et essentiellement commis par des ressortissants européens. Or, s’il y a une évidence, c’est qu’aujourd’hui, la sécurité nationale passe par une stratégie préventive à double niveau. D’une part, celle d’une réelle et puissante inclusion sociale et culturelle de tous les segments de la population résidente, avec une attention particulière à l’égard des segments socialement les plus vulnérables. D’autre part, celle d’un suivi attentif et d’une analyse performante de toutes les mouvances extrémistes quelque soit leur idéologie et non seulement celle d’inspiration musulmane. Mais le choix politique de procéder à des coupes budgétaires au niveau fédéral, comme d’ailleurs au niveau cantonal, met en danger cette double stratégie pourtant essentielle pour notre sécurité.
Dans le cadre de l’offensive idéologique orchestrée depuis plusieurs années, la direction de l’armée – soit son chef et le précédent conseiller fédéral en charge du DDPS – a foncé tête baissée dans une politique effrénée d’acquisition de matériel de guerre au prétexte d’un équipement militaire vieillissant à renouveler. C’est ainsi que l’on a vu arriver, il y a quelques années déjà, la demande subitement urgente d’acquisition de nouveaux avions de combat GRIPEN, alors même que les avions actuels sont, aux dires du constructeur américain qui nous les avait livrés – opérationnels pour de nombreuses années. Le peuple a cependant montré qu’il ne se laissait pas abuser et a refusé les crédits pour d’un achat inutile ou à tout le moins bien trop prématuré.
La même stratégie du besoin urgent justifiant le tout pour le tout a été mise en place pour les véhicules blindés DURO. Cette fois, sans risque d’une opposition populaire, vu l’absence de référendum possible sur les programmes d’armement. Ainsi, sous influence directe des lobbys industriels militaires et des plus hauts cadres de l’armée, le Parlement a réussi la prouesse, de voter 550 millions de francs pour moderniser 2200 véhicules blindés, soit …250’000 frs par véhicule ! Un choix qui permet surtout d’arroser environ 200 entreprises pour la plupart sises sur l’axe Berne, Zurich, Saint-Gall, sans compter MOWAG en Thurgovie.
Le crash récent du projet d’acquisition du système de défense sol-air – à l’acronyme barbare d’origine germanique BODLUV – est un autre exemple parlant de la dérive qui affecte le DDPS. La direction de l’armée, certainement sure de compter sur une majorité politique automatique au parlement, a réussi à approuver le 29 janvier 2016 l’acquisition de deux dispositifs de défense sol-air qui présentent des lacunes graves. Avec de telles inepties ont comprend vite pourquoi la droite à besoin de 20 milliard de francs pour l’armée. Quoiqu’il en soit, le nouveau chef du DDPS a mis fort heureusement le holà à ces méthodes !
La chute du chef de l’armée est donc l’expression d’un malaise profond. Mais est-ce la chute d’un chef couvrant l’incompétence de ses cadres dans les choix fondamentaux ou celui de l’homme d’un système canalisant des ressources publiques totalement disproportionnées, vers les barons de l’industrie de l’armement ? La question peut rester irrésolue pour autant qu’un grand nettoyage et de nouvelles procédures de détermination des options stratégiques, d’évaluations et de décision en matière d’acquisition de matériel de guerre soient mises en place. Il n’est pas possible de continuer d’embobiner le parlement et le peuple en demandant des financements exorbitants alors que d’autres secteurs d’action de la Confédération sont au régime sec.
Plus encore, avant de relancer un quelconque programme d’armement, il est indispensable que la modernisation de l’armée, antienne répétée sans relâche pour justifier les dépenses à tout va, se traduise d’abord par une modernisation de sa direction et surtout de son mode de gestion. Il y a là énormément à faire et à faire tout de suite, notamment déjà dans la mise en œuvre du programme d’armement 2016. Le nouveau chef du DDPS doit donc immédiatement remonter ses manches, jouer la transparence et démontrer que le DDPS, comme on l’exige de tous les autres départements, peu faire aussi bien avec moins de moyens financiers.
Mais d’ici cet aggiornamento – comme le demande avec pertinence la Conseillère aux Etats socialiste bâloise Anita Fetz – les sommes réservées au projet mort-né BODLUV et celles économisées dans la mise en œuvre de la modernisation des véhicules DURO, doivent absolument revenir dans la caisse de la Confédération et permettre de limiter les coupes, notamment celles dans l’aide au développement qui – on le sait – contribue à réduire dans bien des pays les exclusions sociales et culturelles et l’émergence des frustrations à l’origine de l’extrémisme violent.