Interview a Paola Riva Gapany, députée socialiste au Grand Conseil valaisan et élue à la Session des Femmes 2021 – 1 novembre 2021.
Quelle a été ta réaction lorsque tu as appris ton élection à la Session des femmes ?
Le 22 juin dernier, le président du Parti socialiste du Valais romand Clément Borgeaud m’a annoncé que j’étais élue avec notre camarade et constituante socialiste, Corinne Duc Bonvin, à la Session des femmes qui allait se tenir du 29 au 30 octobre au Palais fédéral à Berne.
Une fois la surprise passée, je me suis réjoui du nombre record de candidates et de la forte présence des élues valaisannes (vingt et une, soit la moitié des sièges pour la région lémanique !). Un brin nostalgique, j’imagine ma participation à un événement célébrant un tournant historique dans nos vies de citoyennes suisses : les cinquante ans du droit de vote et d’éligibilité des femmes sur le plan national.
Pourquoi avoir voulu y participer ?
La première Session des femmes a eu lieu en 1991 afin de discuter de nos préoccupations de femmes et d’exprimer nos revendications. Les sujets abordés à l’époque n’étaient pas si différents de ceux d’aujourd’hui : égalité des salaires, violence faites aux femmes, pauvreté, santé, ou éducation. Et trente ans plus tard, force est de constater que la situation n’a que peu évolué ; par exemple, au niveau politique, nous restons minoritaires dans presque tous les législatifs et exécutifs du pays. L’égalité dans la société ou dans le monde professionnel n’est toujours pas atteinte non plus. Quant aux féminicides, une femme en est victime tous les 10 à 15 jours. Il était donc urgent d’organiser cette 2ème Session des femmes !
Comment fonctionne la Session des femmes ?
Nous étions 246 femmes, de toute la Suisse, politiciennes ou pas, engagées dans la société civile ou pas, professionnelles ou pas, à débattre durant deux jours, dans la salle du Conseil national, de thèmes relevant de l’égalité afin de remettre, sous forme de pétitions, une liste de revendications concrètes au Parlement et au Conseil fédéral. À charge pour ces derniers de les transformer en motion ou postulat, de les défendre, de les adopter… ou pas !
Nous avons été réparties, selon nos préférences, dans huit commissions thématiques, qui se sont réunies deux fois à Berne : droit de vote des habitant-es, égalité au travail et à la retraite, agriculture, science, protection contre toute forme de violence, transformation numérique, reconnaissance et valorisation du travail de care, et finalement santé sexuelle et médecine axée sur le genre, commission à laquelle j’ai participé.
Comment s’est déroulé ce travail en commission ?
Nous étions environ une douzaine, majoritairement alémaniques, accompagnées dans nos réflexions par la conseillère aux États tessinoise, Marina Carobbio Guscetti, (PS) et par la conseillère nationale vaudoise, Léonore Porchet. Le ton était militant et engagé ; les spécialistes entendues ont partagé leurs expériences, leurs préoccupations, leurs attentes vis-à-vis de nous. Le genre est avec d’autres critères sociaux un facteur déterminant d’inégalités en matière de santé en général.
Quel souvenir marquant en gardes-tu ?
Un point m’a particulièrement frappée : la recherche médicale. En effet, cette dernière est pensée et conçue par des « mâles », blancs, hétérosexuels, pour des « mâles », blancs, hétérosexuels alors que le sexe biologique et le genre socioculturel ont un impact évident sur la prévalence, la présentation, l’évolution, le traitement et le diagnostic des maladies. Il n’est donc pas étonnant que notre Commission ait adopté, d’une seule voix, la motion « Introduction d’un programme national de recherche en médecine axée sur le genre » qui précise que la perspective du genre doit systématiquement être prise en compte dans les projets de recherche. Les deux autres motions adoptées par notre Commission concernent l’introduction d’un programme national de santé sexuelle pour les femmes et la fixation de standards minimaux pour tout le pays afin de garantir l’accès à une éducation sexuelle professionnelle et de bonne qualité, pour les enfants, les jeunes et les adultes.
Quelles suites à ce travail ?
Le travail doit maintenant se poursuivre à plusieurs niveaux. Les femmes élues seront attentives au sort réservé à nos pétitions, à charge pour nous de faire le lobbying nécessaire auprès de nos élu-es à Berne. Certaines recommandations sont du ressort cantonal voir communal. Je pense notamment à la création de places supplémentaires dans les crèches, l’éducation au respect de l’autre dès la petite enfance, la valorisation du travail de care et du bénévolat, la formation des professionnel-les en contact avec des victimes selon le « modèle de Berne » (un modèle centré sur la victime) ou des campagnes de sensibilisation pour lutter contre les violences de genre. Cela inspire bien évidemment la députée au Grand Conseil que je suis !
Quels résultats avez-vous obtenus ?
Les 21 recommandations ont été adoptées à de larges majorités et ont permis un débat intéressant et constructif.
Quels autres succès ont été obtenus ?
Je pense que la tenue de cette session des femmes 30 ans après la première dans le contexte sanitaire que nous connaissons est déjà un beau succès. Choisir 8 thématiques complexes autour desquelles réunir 246 femmes de 17 à 82 ans et d’horizons divers, en est un autre. La qualité du travail préparatoire et le niveau d’expertise apporté par des intervenantes externes ont permis l’adoption de recommandations pragmatiques et pertinentes. Et finalement, cette session nous a permis de créer un réseau avec de nombreuses femmes d’autres cantons.
Quel bilan politique tires-tu de cette Session des femmes ?
Politiquement, j’ai pu discuter avec des femmes d’autres partis, élues communales, cantonales et fédérales. Je suis fière de constater que les thématiques et les recommandations adoptées sont des sujets que le PS aborde depuis longtemps. L’égalité est dans notre ADN et maintenant il nous appartient de continuer à travailler sans relâche pour que cela ne reste pas un concept théorique mais une réalité, pour les femmes, les migrant-es, les LGBTIQ+, les travailleuses et travailleurs, bref toutes celles et ceux qui souffrent des inégalités.
Et quels souvenirs marquants vont te rester ?
Une image et une émotion : le jour qui se lève sur Berne, avec un Palais fédéral illuminé et un ciel qui se teinte de rose… Et cette bienveillance qui a accompagné ces deux jours de session. Aux dires des trois conseillères fédérales qui sont venues nous soutenir, l’atmosphère était totalement différente de celle vécue lors des sessions ordinaires… moins bruyante, plus colorée, plus joyeuse… bref, de grands moments de sororité !