Partis bourgeois et milieux économiques n’ont pas de mots assez durs pour accuser socialistes et syndicats de vouloir « nuire au partenariat social », soulignant que ce dernier est autant une des clefs du succès suisse qu’un moyen efficace de réguler le marché du travail. Sur le banc des accusés : les initiatives pour un salaire minimum légal et l’initiative 1:12.
Prétendre que ces objets, même s’ils déchaînent les passions, sont de nature à ruiner le partenariat social n’est pas sérieux. L’initiative 1:12 est certes un projet qui limiterait drastiquement des rémunérations abusives qu’une partie de la droite et des milieux patronaux ont érigées en modèle de société. Mais, comme les partenaires sociaux ne se préoccupent pour ainsi dire jamais des salaires des dirigeants, un plafond légal à ces excès n’entraverait en rien leurs négociations. Les adversaires de l’initiative 1:12 peuvent certes s’opposer à une nouvelle correction étatique des abus du secteur privé, ils peuvent certes défendre haut et fort un droit inaliénable à la cupidité ou à une rémunération sans lien avec la prestation. Mais brandir ainsi le partenariat social fait plus penser au désarroi de celui qui est à court d’arguments qu’à une réflexion sensée.
Quant au salaire minimum légal, la droite oublie deux éléments importants lorsqu’elle l’accuse d’être contraire à notre tradition du partenariat social : d’une part, l’initiative qui sera bientôt soumise au peuple et aux cantons prévoit que l’intervention de l’Etat pour fixer des salaires décents est subsidiaire à celle des partenaires sociaux. Et surtout, le partenariat social s’est toujours fort bien porté malgré la reprise de bon nombre de ses innovations dans la législation. Assurance-maternité, assurance-chômage ou congés payés sont autant de bonnes idées des partenaires sociaux dont le législateur a estimé qu’elles devaient profiter à tous et pas seulement à la minorité de salarié assujettis à une convention collective de travail (CCT). Loin d’en souffrir, le partenariat social est sorti renforcé de cette prise au sérieux de sa capacité à trouver une réponse adéquate aux nombreux défis du monde du travail. Demain, peut-être, le législateur s’inspirera d’autres régulations ingénieuses des partenaires sociaux : assurance perte de gain en cas de maladie, retraite flexible, soutien à la formation continue. Loin de s’en plaindre, les partenaires sociaux se féliciteront d’avoir exercé une telle influence… puis s’attèleront à d’autres défis.
Droite et milieux économiques n’ont en revanche pas tort lorsqu’ils chantent les louanges du partenariat social, tant il est évident qu’il s’agit d’un avantage déterminant de notre pays. Ils n’ont pas tort non plus lorsqu’ils le disent menacé. Le problème est qu’ils le prennent eux-mêmes de moins en moins au sérieux, le pratiquent de moins en moins, quand ils ne tentent pas carrément de le vider de sa substance.
Quelques faits montrent d’où vient la vraie menace: Que dire, par exemple, du président des éditeurs alémaniques, qui refuse par principe de conclure une CCT, arguant qu’il s’agirait là d’un « joujou syndical » ? Que dire, ensuite, d’Union Bancaire Privée, entreprise de tradition helvétique s’il en est, qui, au moment de supprimer plusieurs centaines d’emplois chez Lloyds, a refusé de négocier un plan social qui aurait valeur de CCT, non pas pour des raisons de coût, mais par hostilité idéologique ? Que dire des employeurs qui licencient abusivement les délégués du personnel en pleine négociation ? Que dire de ces branches-phare de notre économie qui n’ont pas de CCT comme l’agriculture, le négoce des matières premières ou les assurances ? Que dire de la dénonciation par le patronat de la CCT du commerce de détail genevois, un secteur ou bas salaires et travail précaire règnent pourtant en maîtres? Que dire enfin des propositions des élus UDC aux chambres fédérales proches des milieux patronaux Thomas Aeschi et This Jenny qui visent à affaiblir la portée des CCT, rendre leur extension plus ardue ou carrément instaurer des CCT de complaisance sans partenaires sociaux ?
Tant de mépris pour la négociation collective ne pourra plus être camouflé longtemps derrière un vernis de panégyriques sur les vertus du partenariat social. A force de le prêcher sans le pratiquer, les milieux économiques n’obtiendront qu’une chose, qu’ils semblent pourtant craindre plus que tout : des interventions plus fréquentes du législateur. L’introduction de l’obligation de conclure un plan social dans les grandes entreprises est un exemple récent : plusieurs refus de négocier sérieusement lors de licenciements collectifs de grande ampleur ont choqué et conduit le Parlement à rendre ces négociations collectives obligatoires dans les entreprises dès 250 salariés. Ceux qui craignent la régulation étatique du marché du travail feraient bien d’en prendre note et de mettre un terme à leur double-langage.