Le premier mouvement, celui des tripes, celui instinctif pour nos démocraties libérales est bien sûr un rejet de ce vêtement destiné à cacher le corps et le visage des femmes. Pourtant le rejet de ce vêtement ne signifie pas encore son interdiction. Même d’un point de vue féministe. Car avec la proposition qui nous est soumise, la personne qui sera amendée sera la femme. Qu’elle porte la burqa par choix ou non, dans un cas comme dans l’autre l’interdiction n’est pas tenable. Dans le premier cas parce qu’il y a des féministes qui même si elles rejettent la burqa ne veulent pas dire à d’autres femmes ce qu’elles doivent porter. Dans le deuxième cas, celui de la contrainte, celle qui serait amendée serait la victime et non pas le bourreau. On a vu mieux comme défense de la femme.
Chaque fois que nous prenons une décision législative, à moins de faire du populisme, il faut regarder ses effets réels sur notre société et nos concitoyne-ne-s. Or, dans le cas présent, les seuls chiffres effectifs que nous ayons sont ceux du canton du Tessin qui applique une telle interdiction depuis 2016.[1] Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il y a plus de femme à burqa sur les affiches de campagne des UDC que dans les rues de nos villes… Car le prototype de la femme musulmane portant burqa ou niqab n’existe pas en Suisse, à de très rares exceptions. Le résultat de la votation du 7 mars prochain n’aura donc aucune incidence sur les femmes de notre pays. Que cela soit un oui ou un non. Pas d’avancées, pas de reculs des droits.
En revanche cette initiative donne un boulevard au discours populiste. Le populisme n’est pas le fait des citoyen-ne-s qui diront oui à cette initiative. Mais bien celui des initiant.e.s qui la soumettent au peuple. Le populisme c’est parler d’un problème qui n’existe pas pour viser un autre but, ici discréditer une religion. Car enfin, l’association de la burqa dans des affiches contre la naturalisation facilitée de la 3ème génération (!), ou celle de l’interdiction des couvre-chefs dans l’école obligatoire en Valais(!) servent à discréditer l’islam en faisant croire que les jeunes musulmanes de Suisse portent la burqa.
Certain-e-s de bonne foi veulent saisir cette occasion pour ouvrir une discussion sur la laïcité en Suisse (dépendant des cantons il faut le souligner) ou de mouvements intégristes islamistes en Suisse (qui ne pratiquent pas la burqa comme on l’a vu). Tenter de discuter de la place de la religion dans nos sociétés ou de féminisme par le biais de la question de la burqa c’est comme construire une politique de la santé en se basant sur l’effet indésirable classé comme très rare dans une notice d’emballage de médicaments. On rate la cible.
Cela vaut également pour celles et ceux qui pensent que l’interdiction de la burqa en Suisse punirait celles qui ne souhaitent pas s’intégrer à nos valeurs. À gauche, nous n’avons jusqu’à présent jamais fait de l’intégration par la répression. Car encore une fois c’est bien de cela qu’il s’agit dans les faits. Et cela nous a plutôt bien réussi jusqu’à présent n’en déplaise à celles et ceux qui se plaignent de devoir investir des fonds publics pour cela.
Nous voterons non sans états d’âme à cette initiative. Parce que nous voulons du vrai féminisme et pas du populisme. Aujourd’hui il est urgent de bloquer la montée du populisme même s’il est peut-être déjà trop tard. Il est pourtant de notre responsabilité de ne pas nous tromper de combat réel avec cette initiative. Dire oui c’est ne rien changer aux conditions de vie des femmes de notre pays, dire non c’est donner un coup d’arrêt au lancement d’initiatives faites pour polémiquer et non pas avancer.
[1] Ente 2016 et 2018, seuls 10 cas ont été dénoncés pour contrevenir à l’interdiction de se cacher le visage. La plupart du fait d’une suissesse se promenant et provoquant les forces de l’ordre. Une proche de Nicolas Blanchot, responsable du Conseil central islamique suisse de Bienne. In Le Temps du 7 août 2018 « Au Tessin la loi anti-burqa concerne surtout les fans de foot »