Ecopop : un nom léger comme le pop-corn et pétillant comme le champagne. Mais ne nous y laissons pas prendre. L’initiative Ecopop propose des mesures qui ne mettraient à la fête ni la Suisse, ni les autres pays concernés. Cette initiative est, en fait, aussi dangereuse qu’un alcopop: sous des dehors sucrés et aguicheurs, ses effets sont potentiellement nocifs. Ainsi, sous couvert de préservation des ressources naturelles, l’initiative rigidifie et durcit encore le contingentement de l’immigration, avec les risques que l’on sait pour notre économie. Et, sous prétexte de se soucier du sort des pays les plus pauvres, elle entend capter et figer 10% du budget de l’aide au développement pour promouvoir la planification familiale volontaire.
La planification familiale est certes un élément important de la santé sexuelle et reproductive, d’ailleurs intégré dans les programmes du Fonds des Nations Unies pour la population, auquel la Suisse contribue. Mais elle n’en est qu’un élément parmi d’autres : de la lutte contre le VIH/sida à l’accès au suivi médical de la maternité comme à l’interruption de grossesse, en passant par la lutte contre les violences sexuelles et l’éducation sexuelle, la santé sexuelle et reproductive pose de nombreux défis qui exigent une certaine souplesse budgétaire. Après avoir déposé un postulat transmis en 1998[1], j’ai encore interpellé le Conseil fédéral, en 2009, sur l’importance de renforcer la santé reproductive dans la coopération au développement, mais en aucun cas la seule planification familiale ![2]
Pour être efficace, la planification familiale volontaire doit, en outre, s’insérer dans un effort plus large de lutte contre la pauvreté et d’émancipation des femmes, lequel exige également des moyens. Car comment parler de planifier leur vie à des femmes qui luttent pour leur simple survie ? Et comment leur donner une liberté de choix sans leur offrir des perspectives autres que la maternité ? La distribution de préservatifs ne préserve nullement d’investir dans le développement de la sécurité sociale et de la santé, mais aussi dans la promotion de l’égalité des sexes, de la formation des filles et de l’accès des femmes à l’emploi. Il est même essentiel d’agir sur les causes de la forte fécondité plutôt que sur les seuls symptômes…
La planification familiale selon Ecopop a des relents furieusement colonialistes. Il s’agit, en somme, d’amener les populations d’ailleurs à choisir « volontairement » de se reproduire moins – l’histoire encore récente ayant montré les limites de cette notion, avec les programmes de stérilisation soi-disant volontaire – pour permettre aux populations d’ici de continuer à produire et consommer toujours plus, sans égard pour la préservation des ressources naturelles. Bref, de limiter la reproduction des uns pour servir la production illimitée des autres…
Il y a 20 ans déjà, la Conférence du Caire sur la population et le développement marquait une rupture claire avec cette conception paternaliste de la planification familiale. D’outil de contrôle des populations, celle-ci est devenue un élément constitutif de la santé sexuelle et reproductive, reconnue comme droit humain à part entière. La planification familiale ne mène pas forcément à avoir moins d’enfants mais à choisir d’en avoir (d’autres) ou pas ; sans que ce choix menace sa propre vie et sans qu’il soit subordonné à un objectif « supérieur », tel que la limitation de la croissance démographique. C’est cette vision globale et axée sur les droits humains que la Suisse défend en s’engageant pour que la santé, ainsi que les droits sexuels et reproductifs soient intégrés dans l’agenda post-2015 de l’ONU.
Trompeuse, simpliste et obsolète, l’initiative d’Ecopop « oublie » en outre que la croissance démographique ne dépend pas uniquement du taux de fécondité : la proportion de femmes en âge de procréer, la diminution de la mortalité infantile et l’augmentation de l’espérance de vie, par exemple, jouent aussi un rôle important. D’ailleurs, les taux de fécondité baissent partout dans le monde et celui de l’Afrique devrait drastiquement reculer ces prochaines décennies.
Bref, l’initiative d’Ecopop ne permet ni de lutter dignement contre la misère dans les pays les plus pauvres, ni de préserver les ressources naturelles, ni de répondre aux défis intérieurs de la Suisse. Son volet « aide au développement » n’est que le cache-sexe d’un texte inhumain et dangereux. En somme, comme un alcopop, – et comme l’alcool en général – elle ne résout aucun problème mais en créera de nouveaux. C’est pourquoi il nous faut crever la bulle et, le 30 novembre, rejeter cette initiative sans modération.
[1] Postulat Maury Pasquier 98.3499 – Conférence internationale du Caire. Respect des engagements pris.
[2] Interpellation Maury Pasquier 09.3219 – Mise en œuvre du programme d’action de la Conférence internationale sur la population et le développement de 1994 et de l’Objectif du Millénaire 5.