Dans un récent bulletin des médecins suisses, la FMH prend position sur les priorités du Conseil fédéral en matière de politique de la santé, «Santé2020». L’analyse et les conclusions de la faîtière nationale des médecins sont intéressantes. Elles rendent parfaitement compte de la difficulté des acteurs de ce domaine de quitter une posture de défense d’intérêts particuliers pour agir dans une perspective d’intérêt général.
De manière générale, le projet «Santé2020» s’inscrit dans une stratégie d’actions plurielles. Quatre axes principaux sont énoncés: la qualité des soins, la qualité de vie, l’égalité des chances et la transparence. Douze objectifs concrétisent cette orientation de la politique sanitaire. La démarche est à saluer. Elle dépasse le pré carré des uns et des autres; elle appréhende la politique de santé de manière large et constructive. La publication par le Conseil fédéral d’une telle vision, dans un pays marqué par un fédéralisme exacerbé, sans vision globale, contribue à la cohérence du système. Elle rassemble autour d’objectifs avoués les acteurs concernés.
Or, depuis cette publication, les masques des uns et des autres tombent. Les assureurs maladie s’y sont opposés. Maintenant, c’est au tour des médecins. La FMH rejette par exemple les objectifs suivants: le maintien de la santé à un niveau abordable en accroissant l’efficacité du système et l’amélioration de la politique de la santé. Stabiliser la hausse des coûts dans le domaine des médicaments, renforcer les indemnités forfaitaires par rapport aux tarifs à la prestations, concentrer la médecine hautement spécialisée, renforcer la coordination entre la Confédération et les cantons, mettre en place de nouvelles solutions de pilotage ou débloquer des négociations tarifaires sont autant de problématiques qui rebutent la FMH, ou pour le moins auxquelles elle ne peut adhérer. Et puis, son scepticisme prévaut lorsqu’il s’agit d’améliorer la protection de la santé ou de réduire les infections, mais encore d’améliorer la surveillance des caisses-maladie ou d’améliorer les bases de données.
Ces positions sont incompréhensibles et navrantes. Etrange, lorsque l’on représente les médecins, d’opter pour une telle attitude. Malheureusement, elle n’est que le reflet des enjeux économiques particuliers qui polluent la politique de santé. Les égoïsmes des uns et des autres et l’ambition du pouvoir relèguent au second plan les buts de santé publique.
Il est pourtant devenu évident que le fédéralisme sanitaire suisse, éclaté et cloisonné, aux responsabilités diluées entre la Confédération, cantons et communes, aux frontières cantonales désuètes, aux multiples conventions intercantonales et régionales, atteint les limites de son efficacité. Sans quête de cohérence et de pilotage, cette décentralisation deviendra de plus en plus problématique et coûteuse, voire franchement dispendieuse. Manque de vision d’ensemble et d’objectifs communs, de stratégie, de transparence, inégalités de traitement, décisions contradictoires, lenteur des réformes, concertation et coordination insuffisantes nuisent à la fois à l’utilisation optimale des ressources et à la qualité des soins.
Cinq conditions devraient fonder le développement du système de santé: la solidarité et la régulation de service public en matière d’offre, d’accès, de financement et d’organisation; la qualité des prestations, indistinctement de la couverture d’assurance ou du lieu de domicile; la réduction des inégalités de prestations et de financements; l’innovation de la prise en charge; l’alliance thérapeutique entre médecins et autorités sanitaires.
La consommation médicale expliquant les coûts, c’est elle qu’il convient de maîtriser. Au cœur du processus thérapeutique, le médecin est ainsi l’acteur clé du système. Cette position lui incombe non seulement une responsabilité thérapeutique, mais encore une responsabilité de politique sanitaire. Cela suppose que dans un système fondé sur des financements de pure solidarité (par les contributions publiques et celles de solidarité de la communauté des assurés), les médecins soient capables d’inscrire leur action dans une stratégie de santé publique et non de stricte défense d’intérêts bassement corporatistes et financiers. Un peu de hauteur ne nuirait en rien à leur crédibilité. Serait-ce illusoire?