Le 24 novembre prochain, nous voterons sur l’initiative UDC demandant que les parents qui gardent eux-mêmes leurs enfants puissent bénéficier d’une déduction fiscale au moins équivalente à celle déjà accordée aux parents qui confient la garde de leurs enfants à des tiers. En principe, tout le monde s’accorde pour défendre l’équité fiscale pour les familles. Or, c’est tout le contraire que nous propose l’UDC avec cette initiative qui cherche à distribuer des cadeaux fiscaux aux familles les plus riches, incite les femmes à rester au foyer, coûte très cher et mettrait en difficulté les familles qui ont le plus besoin des prestations de l’Etat. Il faut appeler au rejet massif de ce texte, car il va à l’encontre d’une politique familiale juste et égalitaire.
Des cadeaux fiscaux exorbitants pour les caisses de l’Etat
Avec cette initiative, les pertes fiscales sont doubles. D’une part, les femmes sont encouragées à réduire leur activité professionnelle et par conséquent à payer moins d’impôts sur leurs revenus. D’autre part, leurs conjoints peuvent déduire des frais de garde – purement fictifs – sur leurs propres revenus. Ainsi, l’acceptation de l’initiative conduirait à des pertes financières massives pour les cantons et la Confédération, estimées à hauteur de CHF 1.4 milliards par an – dont 1 milliard pour les cantons. Ces pertes tomberaient au plus mal alors que de nombreux cantons annoncent des trains d’économies dans les prestations sociales et les services publics, souvent après avoir eux-mêmes réduit leurs impôts. L’application de cette initiative aurait pour effet soit de réduire les prestations aux structures d’accueil de jour des enfants, soit de diminuer les déductions faites aux parents qui travaillent.
Une initiative qui privilégie les familles riches avec un seul salaire et profite à ceux qui n’en ont pas besoin
Les déductions fiscales proposées par l’UDC avantagent les familles des classes moyenne supérieure et aisée dont un seul parent – principalement l’homme – travaille. En matière de déductions, plus le salaire du conjoint qui travaille est important, plus le cadeau fiscal sera élevé en raison de la progressivité de l’impôt sur le revenu. Les ménages modestes, dont les deux parents doivent travailler pour permettre à leur famille de vivre, n’en verraient non seulement guère la couleur, mais seraient en plus prétérités. L’initiative UDC constitue en effet une véritable provocation pour ces ménages, car les baisses fiscales massives qu’elle engendre, limitent les possibilités d’actions de l’Etat en leur faveur (par exemple au travers des subsides à l’assurance-maladie, des subventions aux crèches, etc.) en raison de la baisse prévisible des recettes fiscales.
Une initiative contraire à l’égalité salariale
Le mode de vie des ménages a profondément évolué au cours de ces quarante dernières années : la famille « néo-traditionnelle » – i.e. la forme la plus répandue de ménage familial – est celle où les deux parents travaillent (l’homme à plein temps et la femme à temps partiel). Neuf personnes sur dix composent des ménages qui ne correspondent plus au modèle « traditionnel » de l’UDC. Tant que les femmes resteront discriminées sur le plan salarial, il est plus avantageux pour une famille d’avoir l’homme qui travaille plus que la femme. Une politique familiale qui se dit égalitaire doit donc aussi tendre vers l’égalité salariale entre femmes et hommes. L’inégalité salariale en Suisse est aujourd’hui de l’ordre de 19% entre femmes et hommes. Une moitié de cet écart est due aux difficultés qu’éprouvent les femmes à accéder à des postes à responsabilité. Ceux-ci s’obtiennent en général entre 30 et 40 ans, c’est-à-dire au moment où de plus en plus de femmes font leurs enfants. Le paradoxe est donc entier: c’est bien souvent lorsque les femmes font des enfants que le milieu professionnel leur offre la possibilité d’avancer dans leur carrière. Soutenir une politique comme celle qui est proposée par l’UDC, qui rétribue les ruptures de carrière professionnelle par le maintien au foyer des femmes entre 30 et 40 ans, est extrêmement néfaste pour l’égalité salariale entre femmes et hommes.
Taxation individuelle, égalité salariale et augmentation des structures d’accueil de jour des enfants
Une politique économique, fiscale et salariale qui se dit favorable aux familles et qui se prétend égalitaire doit renforcer le pouvoir d’achat de toutes les familles, dont notamment les ménages modestes. Elle doit prévoir des incitations fiscales adéquates et non un saupoudrage fiscal qui est reconnu comme inefficace pour fonder une politique familiale solide. En Allemagne, l’échec du soutien financier aux familles qui gardent elles-mêmes leurs enfants (« Betreuungsgeld »), voulu par la coalition d’Angela Merkel montre ouvertement les limites de ce type de politique. En effet, comme souhaité par l’UDC, cette politique redistribue de l’argent vers des familles qui n’en ont pas besoin. Pour cette raison, elle fait aujourd’hui l’objet de débats intenses au sein même des conservateurs allemands.
Les véritables priorités pour une politique familiale qui a de l’avenir sont ailleurs: un mode d’imposition individuelle qui soit le même pour tous, – quel que soit l’état civil, le sexe ou le mode de vie choisi –, un marché du travail qui garantisse l’égalité salariale, un renforcement substantiel du pouvoir d’achat des familles précarisées, une économie où les femmes peuvent travailler et concilier harmonieusement leur vie familiale avec leur vie professionnelle en faisant appel à des structures d’accueil pré- et parascolaires efficaces et accessibles. Avec son initiative, c’est tout le contraire que l’UDC nous propose.