« La nécessité d’un mécanisme de solidarité efficace entre les pays européens pour atténuer la pression migratoire sur les pays en première ligne. »

Discours prononcé par le conseiller national PS (JU) Pierre-Alain Fridez devant le Conseil de l'Europe, comme rapporteur au nom de la Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, dont il est le président.

Monsieur le Ministre, chères et chers collègues !

La Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, a pris l’initiative de ce débat d’actualité après le retour de sa Sous-commission ad hoc d’une visite d’information, en mai dernier, en Grèce, sur la situation des réfugié-e-s et des migrant-e-s sur l’île de Lesbos après la destruction par incendie du camp de Moria.

Suite à cette visite, il est apparu nécessaire à la commission de transmettre deux messages forts :

– Le premier est la nécessité de protéger la vie et la dignité de celles et ceux qui arrivent dans nos pays et sur nos côtes, qu’il s’agisse de migrant-e-s en situation irrégulière, de demandeurs et demandeuses d’asile ou de réfugié-e-s.

– Le second est l’importance de concrétiser la nécessaire solidarité de l’ensemble de l’Europe envers les pays en première ligne qui assument la plus grande charge face à l’arrivée des personnes migrant-e-s.

Les récents événements survenus à Ceuta ont donné un motif supplémentaire à la tenue de ce débat : l’afflux soudain de plus de 8 000 migrant-e-s en situation irrégulière et demandeurs/euses d’asile, dont de nombreux enfants non accompagnés, a mis à rude épreuve la petite enclave espagnole située sur la côte nord-africaine.

Au cours de notre visite en Grèce, nous avons rencontré des représentant-e-s du HCR, du CICR et de la société civile, de différents ministères, nos collègues du Parlement et des réfugié-e-s dans les centres d’accueil.

Nous avons été informé-e-s qu’en raison de la pandémie de Covid-19, le nombre d’arrivées avait considérablement diminué, mais que l’accès sûr au territoire grec était devenu un problème en raison des contrôles stricts aux frontières. Nous avons reçu des témoignages faisant état d’allégations de renvois et de blocages musclés, les « push-back ». Si la situation sur le continent est désormais meilleure, la plupart des 14 000 demandeurs/euses d’asile dans les centres d’accueil insulaires restent exposés à des conditions d’existence particulièrement difficiles.

Les organisations non gouvernementales ont lancé un appel aux pays européens pour qu’ils mettent en place un mécanisme de relocalisation plus efficace. Elles ont également demandé aux autorités grecques d’établir des partenariats institutionnels avec la société civile sur les questions relatives à l’aide apportée aux migrant-e-s et aux réfugié-e-s, en particulier, pour fournir des services de santé durables. Les femmes enceintes ne reçoivent pas les soins de santé minimaux nécessaires dans les centres d’accueil et il y a des problèmes  d’hygiène et d’accès aux vaccinations. Les enfants dans les centres ne sont pas scolarisés, et bénéficient uniquement d’une éducation non formelle. Des préoccupations majeures ont également été exprimées concernant la durée des procédures d’asile, qui peuvent durer 2 ans. Plus de 18 000 demandes d’asile sont en attente. Une fois que les personnes quittent les centres en tant que réfugié-e-s ou personnes ayant besoin d’une protection internationale, une nouvelle série de problèmes se pose, notamment l’absence de programmes d’intégration.

Nous avons également appris de nos collègues du CICR que 1 500 personnes ont été signalées comme mortes ou disparues suite à leur traversée de la mer Égée ou de l’Evros depuis 2015, parmi lesquelles 528 mineurs. La procédure d’identification se révèle très compliquée en raison de l’absence d’un système unifié.

Cependant, des évolutions positives sont à signaler : 745 enfants migrants non accompagnés et séparés ont été relocalisés dans différents pays européens. Mais on pourrait – et l’on devrait faire beaucoup plus en termes de relocalisation et notre commission travaille actuellement sur un rapport concernant cette question, préparé par Lord Dundee.

Une autre nouvelle positive est que la Grèce a également suivi les recommandations de l’Assemblée et a adapté sa législation en interdisant la rétention des enfants migrants.

Le moment phare de notre visite à Lesbos a été la visite du centre d’accueil temporaire et d’identification de Mavrovouni. Nos impressions ont été mitigées, d’un côté nous avons vu l’espoir et les sourires sur les visages des personnes qui ont échappé aux guerres et à la misère, et de l’autre côté, nous avons constaté des conditions de vie très difficiles, des enfants qui n’ont pas accès aux écoles et aux terrains de jeux, des femmes enceintes qui ne bénéficient pas des soins nécessaires.

Nous constatons après la visite du centre que les autorités grecques s’emploient après l’incendie de Moria à améliorer les conditions d’existence des réfugié-e-s en leur fournissant un hébergement et des installations sanitaires un peu plus dignes, mais globalement la situation reste très loin d’être satisfaisante. Plus de 6000 personnes résident dans ce centre, une majorité venant d’Afghanistan et de Syrie – dont 40 % d’enfants. Et on comprend bien que ces gens ne sont pas là par hasard. Ils se plaignent de la nourriture, de l’état de leurs tentes et des très mauvaises conditions d’hygiène. Et ils attendent désespérément une réponse à leur demande d’asile.

Sur place, touchés par leur situation, nous nous sommes engagés à relayer leurs préoccupations auprès des autorités européennes et à appeler nos États membres à faire preuve de plus de solidarité et de plus d’humanité.

Nous devons nous assurer que le nouveau Pacte européen sur les migrations et l’asile, qui propose de nouveaux mécanismes pour améliorer la solidarité entre les États membres dans le domaine de l’asile et des migrations, et qui remplacera les règlements de Dublin existants, instaurera une véritable solidarité, des mécanismes simples par lesquels les personnes ayant besoin d’une protection immédiate seront relocalisées vers le pays qui pourra leur offrir la meilleure protection.

Jusqu’à présent, seuls quelques États européens entraient en matière pour prendre en charge des demandeurs d’asile.  Et de fait, la majorité des demandeurs/euses d’asile se sont « auto-réinstallés » dans des États frontaliers où les conditions d’accueil sont souvent inadéquates.

Malheureusement, ce qui est proposé dans le nouveau Pacte ne fait pas preuve d’une solidarité suffisante avec les autres pays et les personnes ayant besoin d’une protection internationale. Il est essentiel de prendre des mesures pour aider à s’intégrer celles et ceux qui restent sur nos côtes et dans nos pays. Il est scientifiquement prouvé que les perspectives d’intégration sont considérablement améliorées lorsqu’une personne a un lien avec l’État de transfert, ce qui peut inclure une langue commune, un contexte culturel ou des liens familiaux qui vont au-delà de ceux acceptés comme pertinents aux fins du transfert. Et dans le cas des enfants, le soin mis à assurer une intégration réussie est tout particulièrement essentiel.

Dans toute cette histoire de migrations, je dirais qu’il y a une contradiction essentielle entre deux approches juridiques ; l’une qui vise à protéger les frontières contre les franchissements illégaux et l’autre qui impose de sauver la vie de personnes en détresse, qui tentent d’échapper à la violence et au dénuement et qui doivent pouvoir user d’un droit essentiel reconnu par tous nos états : le droit de demander asile et protection. Les valeurs de notre organisation doivent être respectées, nous devons faire preuve de solidarité envers les pays qui reçoivent ces flux mixtes de migrants irréguliers, de demandeurs d’asile et de réfugiés et contribuer à protéger les droits de ces personnes, dont beaucoup sont extrêmement vulnérables. Les pays d’arrivée sont soumis à de fortes pressions, leurs moyens sont régulièrement dépassés. Ils ont besoin de l’expression concrète de notre solidarité pour relocaliser des personnes, des êtres humains, des enfants, des familles qui espèrent un avenir de paix et de sécurité. 

L’Europe à travers l’action conjointe et unifiée de ses différents pays membres doit user de son influence pour mettre fin aux guerres et aux conflits, unir ses efforts pour prévenir le trafic et la traite des migrant-e-s, et créer davantage de possibilités légales pour que les migrants puissent franchir les frontières à des fins de migration et d’asile. Elle doit aider les pays en première ligne à gérer les arrivées.

Il en va du respect de nos valeurs et de l’honneur de notre continent.

Interlocuteur-trices sur ce thème

Pierre-Alain Fridez

Pierre-Alain Fridez

Conseillère nationale JU

Clément Borgeaud

Clément Borgeaud

Porte-parole & campagnes Suisse latine

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