de Martine Docourt, co-presidente Femmes* Socialistes Suisses
Mercredi 29 mai 2019, midi : le Grand Conseil neuchâtelois enterre le projet de décret visant à élire 50 femmes et 50 hommes au Parlement cantonal. En tant que co-présidente des Femmes* socialistes suisses, députée au Grand Conseil, il m’était nécessaire de revenir sur cet épisode de la politique neuchâteloise.
D’un côté, je me réjouis qu’on débatte à ce propos, car c’est l’un des thèmes pour lesquels je m’engage au niveau national en tant que co-présidente des Femmes* socialistes suisses, et d’un autre côté, je ne peux que faire le constat que la représentation des femmes en politique reste un sujet sensible, un sujet qui passionne, notamment la toile. Mais ce qui me fâche surtout, c’est que ce débat donne l’impression qu’il suffit d’avoir la parité au Parlement pour obtenir l’égalité ou qu’il suffit de mesures en faveur de l’égalité pour obtenir la parité. La poule OU l’œuf en quelque sorte ? Je serais tentée de répondre la poule ET l’œuf.
# LA CONCILIATION
La proposition socialiste partait d’un constat que personne ne remet en cause : les femmes sont sous-représentées dans les instances politiques. Toutefois, le débat qui a eu lieu aurait pu initier une réelle réflexion quant à la conciliation entre vies familiale, politique et professionnelle. C’est réellement une occasion manquée.
Il y a plus de 6 ans, lorsque j’ai repris la présidence du groupe socialiste au Grand Conseil, j’étais enceinte de quelques semaines de ma fille. J’ai dû me poser la question de savoir comment j’allais pouvoir gérer un tel mandat, et je n’en savais rien. Je savais simplement que nous (mon mari et moi) devrions nous battre pour obtenir une place en crèche pour que l’on puisse continuer nos activités professionnelles, tout en bénéficiant d’une place dans la crèche cantonale durant les sessions parlementaires. Mais je savais surtout que j’aime faire de la politique, m’engager pour la collectivité et que de ne pas accepter la présidence de groupe aurait été un vrai sacrifice.
A la naissance de notre fille, nous n’avions toujours pas la garantie d’obtenir une place de crèche. Ce n’est qu’à la fin mon congé maternité, après avoir dû insister, – ce dont nous nous serions passés – , que nous avons obtenu une place de crèche de la Ville, en combinant avec la crèche du Canton pour les sessions mensuelles. Cela n’a pas été tout simple. La direction de la crèche s’est inquiétée : Est-ce que ma fille allait s’intégrer en ne venant qu’une fois par mois ? Est-ce que le personnel éducatif allait pouvoir suivre correctement son développement ? C’est là que j’ai compris : personne, jusqu’à ce jour (nous étions tout-de-même en 2013) n’avait fait une telle demande. J’étais la première ! Pourtant, si cette possibilité existait, c’était bel et bien parce que des femmes s’étaient engagées avant moi…
Mon retour en politique s’est fait non sans difficultés : je me souviens d’un retour en urgence à la maison en pleine séance sur le budget. Ma fille refusait le biberon car j’allaitais encore à cette époque et j’ai profité de la pause du Grand Conseil pour courir à la maison. Je me souviens aussi des séances de tire-lait dans des lieux improbables du Château, qui n’avait aucun lieu prévu à cet effet.
J’ai essayé, durant mon passage au bureau du Grand Conseil, de thématiser la question des horaires des sessions. Il faut savoir que l’heure de début est connue, mais jamais l’heure de fin, décidée à bien plaire par la présidence et son bureau. J’étais bien seule à trouver problématique qu’ils ne soient pas définis d’horaires, ce qui m’aurait permis de m’arranger avec ceux des baby-sitters, par exemple… J’ai donc, par exemple, terminé la session du budget 2016 avec mon fils de cinq mois sur les genoux, sa garde de la journée ayant, elle, un horaire défini pour ses activités.
La conciliation reste difficile, même si cela ne rogne en rien mon amour de la politique. J’investis beaucoup d’énergie, de temps, de passion, avec le soutien indéfectible de mon mari, très précieux, évidemment. Pourtant, je comprends celles et ceux (oui, hommes et femmes qui s’engagent dans une activité politique seront confronté-e-s à ces difficultés) qui baissent les bras, qui renoncent, non pas pour des conflits de valeurs, mais simplement pour des questions d’organisation. Sachant que souvent les femmes arrêtent leur activité professionnelle après l’arrivée d’un enfant, pourquoi en serait-il différemment pour une activité de milice ?
Il y a certes des mesures à prendre pour faciliter la conciliation, mais je suis aussi convaincue que pour mener notre société à plus d’égalité il faut passer par des mesures plus fortes : garantir un Parlement paritaire en aurait été une, à forte valeur symbolique de surcroît.
Avec une moitié de femmes au Grand Conseil, cela aurait permis d’avoir un réel débat sur l’organisation de notre Parlement. Cela aurait permis de proposer tout simplement une meilleure représentation de la société en introduisant la parité.
Ainsi, je ne peux que me réjouir du lancement de la campagne des Femmes* socialistes suisses qui a eu lieu samedi dernier. Cette journée a été l’occasion de lancer notre pétition pour des places en crèche gratuites pour chaque enfant, une revendication pour la grève du 14 juin. Ceci afin qu’après l’arrivée d’un enfant, les femmes aient réellement un choix, et non un non-choix, de continuer leur activité professionnelle… et politique.