Il y aurait mieux à faire que d’expliquer pourquoi l’initiative populaire déposée en mars 2013 par l’Union démocratique du centre (UDC), « Sauvez l’or de la Suisse », va totalement à contresens des nécessités d’une bonne gestion de l’économie par la Banque nationale suisse (BNS). Mais comme cet objet est soumis en votation le 30 novembre, il est utile de présenter les raisons de lui opposer un non convaincu.
Lisons le texte. Le 1er alinéa affirme que les réserves d’or de la BNS sont « inaliénables ». Ainsi, quelles que soient les circonstances économiques futures, en Suisse ou à l’étranger, l’or détenu ne pourra jamais être vendu. Le 3e alinéa précise que l’or doit compter pour au moins 20 % des actifs du bilan de la BNS.
Or le mandat de la BNS, inscrit dans la Constitution fédérale, est de poursuivre une politique monétaire garante de la stabilité des prix et contribuant au développement stable de l’économie.
D’où la question simple, mais centrale : pourrait-il y avoir contradiction ou conflit entre l’initiative et l’accomplissement du mandat de la BNS ?
Considérons la situation conjoncturelle depuis la crise financière des subprimes, en 2008. Elle a exercé une forte pression à la hausse sur notre monnaie nationale. La BNS a répondu le 6 septembre 2011 par un communiqué de presse dont voici un extrait essentiel : « La Banque nationale fixe un cours plancher de 1,20 franc pour un euro. La surévaluation actuelle du franc est extrême. Elle constitue une grave menace pour l’économie suisse et recèle le risque de développements déflationnistes. La Banque nationale suisse (BNS) vise par conséquent un affaiblissement substantiel et durable du franc. De ce jour, elle ne tolérera plus de cours inférieur à 1,20 franc pour un euro sur le marché des changes. La Banque nationale fera prévaloir ce cours plancher avec toute la détermination requise et est prête à acheter des devises en quantité illimitée.»
L’engagement pris par la banque centrale il y a un peu plus de trois ans a bien fonctionné. Le plancher fixé n’a jamais été crevé, de sorte que les exportations helvétiques sont certes pénalisées par une valeur assez élevée de notre monnaie, mais pas au point que cela compromette le développement de l’économie. Ces dernières années, la Suisse s’en tire d’ailleurs plutôt mieux que la plupart des autres pays développés.
Mais cela ne s’est pas fait tout seul ! La BNS a dû montrer qu’elle était prête à acheter des devises en quantité illimitée. Entre 2011 et 2012, elle a acheté pour plus de 200 milliards de francs de devises étrangères ; cette position à son bilan a presque doublé. Elle a ainsi prouvé sa détermination à stopper la hausse du franc.
Que serait-il arrivé si le texte de l’UDC avait figuré dans la Constitution ? La BNS aurait dû, avec les devises, acheter de l’or pour une quarantaine de milliards (20 % de 200 milliards). Ces achats auraient été totalement inutiles pour le but visé (stopper la hausse du franc). Vu leur ampleur, ils auraient probablement contribué à faire augmenter le prix de l’or, le rendant encore plus coûteux. L’or détenu étant « inaliénable », notre banque centrale ne pourrait pas le revendre lorsque, dans quelques années, la situation sera normalisée et la BNS n’aura plus de raison de détenir autant de devises à l’actif de son bilan.
Et nous n’avons évoqué que la situation actuelle. Ces quarante dernières années ont vu d’autres situations où le franc « s’envolait » ; on peut penser que la Suisse, avec son économie innovante et dynamique, pourrait connaître à l’avenir d’autres épisodes semblables, avec un franc (trop) fort.
Chaque fois, la BNS pratiquerait une politique semblable à celle qu’elle suit depuis 2011, achetant de fortes quantités de devises, qui l’obligeraient à acquérir beaucoup d’or « inaliénable ». À la longue, l’or finirait par représenter une position prépondérante à son bilan et compromettrait sa capacité à mener une politique monétaire contribuant à un développement stable de l’économie.
Pour ce sujet aussi, l’UDC vit dans un monde qui n’existe pas ou plus. L’or garant de la valeur d’une monnaie fait partie de son arsenal de mythes. N’en encombrons pas la Constitution.