Les terroristes gagnent lorsqu’ils parviennent à nous faire abandonner nos principes démocratiques au nom de la « lutte contre le terrorisme ». Cette « lutte » nous fait en effet jeter par-dessus bord bon nombre de principes que nous croyions intangibles, mais sans guère de résultats… à part une augmentation de la peur du terrorisme. Une peur qui appelle souvent de nouvelles restrictions de nos libertés. Les Etats-Unis sont-ils plus sûrs grâce au « patriot act » ? Il est permis d’en douter.
Indépendamment de son contenu et des cautèles qui ont pu y être inscrites (grâce à l’excellent travail parlementaire de la délégation PS à la Commission de politique de sécurité), la LRens marque une étape supplémentaire vers cette dérive. La précédente base légale pour le renseignement civil en Suisse, la LMSI, ne parlait que de surveiller les sources accessibles au public. Avec la LRens, nous entrons dans l’ère de la surveillance préventive de la sphère privée, avec des moyens que la technique rend plus invasifs que jamais. A l’époque des débats sur la LMSI, le Conseiller fédéral Arnold Koller considérait qu’écouter des conversations privées (on ne parlait alors que de conversations téléphoniques), était « une atteinte si grave contre la sphère privée que cela ne peut se dérouler que dans le cadre de l’activité de la police judiciaire ». En 2009, pourtant déjà après les attentats du 11 septembre et bien avant le scandale de la NSA, une nouvelle version de la LMSI, qui prévoyait une surveillance préventive des télécommunications, a été rejetée par le Parlement.
La surveillance préventive est condamnable car c’est une atteinte à la sphère privée sans le moindre soupçon. Ne serait-ce qu’en raison de la présomption d’innocence, il est admis qu’une procédure pénale peut être une atteinte importante aux droits fondamentaux. Il est donc nécessaire que la surveillance se fasse sur la base de soupçons fondés d’un crime grave et sous contrôle judiciaire, et non pas sur la base de vagues intuitions, comme la participation à une manifestation ou une barbe un peu trop indisciplinée pour être celle d’un hipster. Pourtant, c’est bien là où nous mène la LRens. C’est le risque que chaque citoyen-ne se fasse surveiller, non pas parce qu’il a quelque chose à se reprocher, mais parce qu’un-e espion-ne croit que le-la citoyen-ne en question devrait avoir quelque chose à se reprocher.
En outre, il est difficile d’accorder la moindre confiance au Service de renseignement de la Confédération (SRC). On peut bien vouloir surveiller le SRC comme cela est prévu dans la LRens, ses récents couacs montrent qu’il n’est pas digne de la confiance qu’exigent les mesures de surveillance prévues. Il n’est par ailleurs pas sûr que le meilleur mécanisme de contrôle envisageable ait l’efficacité qu’on attend de lui. L’organe de surveillance de la NSA, censé éviter ses dérives, a failli en grandes longueurs. Pourtant, la surveillance du réseau câblé est justement un instrument totalement nouveau et aussi invasif que ce que fait la NSA.
Personne ne conteste le danger du terrorisme et de l’Etat islamique. Mais c’est aux autorités pénales ordinaires d’agir, dans le cadre de procédures pénales ordinaires. La loi actuelle et future leur en donne parfaitement les moyens.