Les révélations d’Edward Snowden sur les agissements de la NSA, l’agence militaire de renseignement des Etats-Unis d’Amérique, ont provoqué une onde de choc planétaire. Elles ont révélé au monde la mise en place d’une surveillance étatique secrète d’une ampleur insoupçonnée, touchant tant les simples citoyennes et citoyens que les hommes et femmes politiques.
Si l’onde de choc a été aussi puissante, c’est que les documents portés à la connaissance du public ne concernaient pas la surveillance systématique des individus par des Etats autoritaires, où règne l’arbitraire avec sa cohorte de violation des droits fondamentaux. Cela ne concernait donc pas ces Etats que nous avons la triste habitude de voir condamnés par le Conseil des droits de l’homme et dont les dissidents dénonçant les abus sont condamnés à morts ou croupissent des décennies dans des geôles destructrices, comme c’est le cas de la Chine, de la Russie ou encore par exemple du Kazakhstan. Cela concernait les Etats-Unis d’Amérique et les pays occidentaux, dont les valeurs fondatrices sont l’observation de l’Etat de droit, la gestion démocratique du pouvoir et le respect des droits fondamentaux de la sphère privée. Cela impliquait une obscure officine militaire de renseignement au réseau tentaculaire d’un Etat démocratique, allié et prétendument ami. Cela concerne les pays qui s’émeuvent avec fracas lorsque les autorités chinoises soumettent les internautes au contrôle ou soumettent les grandes sociétés de gestion de l’internet à une collaboration forcée.
L’onde de choc et d’indignation auprès des populations a été amplifiée par l’émergence progressive des documents démontrant les intenses collaborations institutionnalisées entre services de renseignement de l’ensemble des pays démocratiques, la plupart du temps ignorées par les autorités politiques, tout au moins dans leur ampleur, dans la collecte systématique des informations sur leurs propres citoyennes et citoyens avec, à la clé, l’échange ou le stockage de ces informations aux USA. Un Etat profond paranoïaque et transnational, surveillant tout échange électronique et tous enfants ou adultes, au sein duquel les services de renseignements militaires américains et certainement civils ont agi au mépris de la souveraineté nationale et manifestement à la marge des accords internationaux et la législation nationale.
La Suisse, où Edward Snowden a travaillé à la mission américaine pour la NSA, n’a pas échappé à la surveillance et collecte d’information par les services secrets d’une puissance amie. La Genève internationale, outil fondamental de la politique extérieure suisse et secteur économique important de la région lémanique, au lieu de rencontres diplomatiques de haut rang, largement médiatisées ou extrêmement discrètes en faveur de la recherche de solutions aux crises naturelles ou politiques qui provoquent des morts par dizaines de milliers ou affectent gravement la sécurité internationale, a été plus particulièrement touchée. Par cette ingérence massive de la NSA, l’espace neutre et discret qu’est la Genève internationale pour des contacts, des facilitations et des négociations, notamment avec ou au sujet d’acteurs armés dans des situations de conflits asymétriques, est mis certainement en danger.
Cette surveillance en coupe réglée de la Genève internationale, mais probablement aussi du secteur bancaire suisse visé par la chasse des USA aux fraudeurs fiscaux ,a pu aussi se développer sans encombre vu l’insigne faiblesse du contre-espionnage helvétique. Cette faiblesse résulte, à n’en pas douter, de plusieurs choix stratégiques en matière de sécurité et plus spécifiquement en matière de services de renseignement. Ainsi, l’attribution par le Parlement d’un budget de 5 milliards de francs annuels à une armée de grand-papa coûteuse passe à côté des défis actuels de sécurité, de souveraineté et d’indépendance, comme par exemple la perte dramatique par notre pays d’une dimension essentielle du contrôle sur ses propres données numériques publiques ou privées. L’achat inutile des nouveaux avions de combat s’inscrit dans cette aberration. Mais, l’affectation des maigres ressources financières et humaines du Service de renseignement de la Confédération (SRC) bien plus dans la surveillance de la population que dans le contre-espionnage est un autre élément constitutif de cette faiblesse.
En tant que socialistes, surtout après les dénégations absurdes du Président de la Confédération quant à la collaboration du SRC avec la NSA, nous posons l’exigence d’inventaire quant à la collaboration des services de renseignements suisses avec la NSA ou d’autres services secrets dans une perspective de contrôle démocratique de l’activité de ces services secrets, cela dans le respect du besoin de sécurité. La redéfinition politique des collaborations internationales du SRC, des priorités des services secrets suisses et des instruments de surveillance démocratique est également une exigence fondamentale pour assurer le respect de l’Etat de droit, la démocratie et les libertés réelles des citoyen-ne-s. Enfin, dans le nouveau contexte de la globalisation interconnectée, la protection nationale et internationale des lanceurs d’alerte sur les violations graves et systématiques de l’Etat de droit, des décisions démocratiques et des libertés fondamentales doit être assurée. Défis de taille mais qui doivent être relevés pour garantir la pérennité des valeurs qui ont forgé notre démocratie occidentale.