Ces dernières années, il n’y a pas que les rémunérations des top-managers qui ont explosé : il y a aussi l’écart salarial. Que l’on parle de grande multinationale comme Novartis ou d’entreprise typiquement suisse comme Lindt & Sprüngli, les directions s’octroient des salaires plus de 200 fois supérieures au salaire le plus bas de l’entreprise. Les rémunérations abusives ne sont donc pas uniquement le symptôme de la cupidité sans bornes de quelques dirigeants, il s’agit aussi d’une vaste opération de redistribution des richesses vers le haut. Ce sont les salarié-e-s qui en font les frais : La grande masse doit se partager une part toujours plus restreinte des bénéfices, pendant que les dirigeants se servent sur la bête, sans pour autant garantir la pérennité des emplois et du savoir-faire.
L’initiative « Contre les rémunérations abusives » est une première étape contre ces dérives. Les étapes suivantes sont bien entendu l’initiative « 1 :12 », l’initiative pour un salaire minimum et l’initiative pour un impôt sur les successions.
Certes, l’initiative « Contre les rémunérations abusives » n’est pas une baguette magique (aucune initiative ne l’est, d’ailleurs !), car ce n’est pas en renforçant les droits des actionnaires que l’on renforce ceux des salarié-e-s. Mais elle n’en contient pas moins plusieurs instruments qui sont efficaces contre les formes les plus choquantes de rémunérations abusives :
- interdiction stricte des parachutes dorés ;
- interdiction stricte des primes de bienvenue (« golden hellos ») ;
- interdiction stricte des primes en cas de vente d’entreprise (Il convient de relever que ces trois formes de rémunérations sont utilisées en particulier lors d’assainissements, de faillites, ou de reprises, c’est-à-dire quand de nombreux salarié-e-s perdent leur emploi. Elles permettent alors aux managers de quitter les poches pleines un navire en perdition.) ;
- interdiction stricte des mandats annexes (souvent de complaisance) au sein du même groupe ;
- obligation pour les actionnaires de se prononcer sur les salaires de la direction (c’est là que se trouvent les abus les plus criants).
Il faut noter que c’est justement sur les mesures les plus efficaces contre les formes les plus choquantes de rémunérations abusives que le contre-projet indirect va moins loin que l’initiative. C’est justement sur ces dispositions centrales qu’il prévoit exceptions et autres échappatoires, dont les profiteurs (Abzocker) ne manqueront pas de faire rapidement usage si l’initiative est rejetée et que le contre-projet entre en vigueur.
L’initiative oblige en outre les caisses des pensions à voter dans l’intérêt de leurs assuré-e-s. Cette disposition, qui est saluée par les associations qui défendent les représentants des salarié-e-s au sein des caisses de pension comme l’ARPIP, permet d’éviter qu’un représentant de caisse de pension vote contre ce qui a été décidé par les assuré-e-s (la caisse de pension de la Poste a fait cette amère expérience). Elle poussera aussi les caisses de pensions – sans bureaucratie inutile – à utiliser le formidable potentiel qu’elles détiennent grâce à leurs participations, un potentiel aujourd’hui par trop négligé. Elle les poussera enfin à investir de manière pérenne, avec un horizon à 50 ou 60 ans, car c’est là que se trouve le véritable intérêt de leurs assuré-e-s.
Demeure la problématique des actionnaires-prédateurs qui dépècent les entreprises comme des essaims de criquets (Heuschrecken). C’est un risque important pour l’emploi et la place industrielle suisse et les syndicats ont raison de mettre le doigt dessus. Mais cela ne justifie pas de rejeter l’initiative. En effet, ni l’initiative, ni le contre-projet indirect ne changeront rien au fait qu’aujourd’hui déjà, un actionnaire minoritaire dispose de tous les instruments pour convoquer une assemblée générale extraordinaire ou demander la révocation d’administrateurs. Il convient aussi de relever qu’en ce qui concerne la démocratie actionnariale, initiative et contre-projet indirect ne se différencient guère