Lors du compromis historique de 2011 entre les partis socialistes, écologistes, Verts libéraux, démocrates-chrétiens et bourgeois démocrates pour la sortie du nucléaire, la question de la date d’arrêt des centrales nucléaires avait été laissée ouverte. Il n’avait pas été possible de convaincre les partis bourgeois de l’alliance de fixer une date butoir ou une durée de vie maximum. Le Conseil fédéral avait clairement indiqué qu’il était d’accord de renoncer à la construction de nouvelles centrales nucléaires, mais pas de fixer une date limite à l’exploitation des installations existantes, estimant qu’elles devaient pouvoir rester en exploitation « aussi longtemps qu’elles sont sûres ».
Dans son projet de loi, le Conseil fédéral a donc renoncé à proposer des changements aux règles d’exploitation pour les centrales existantes. Or, maintenir le droit actuellement en vigueur signifie que l’État n’a quasiment aucun moyen d’arrêter une centrale nucléaire en raison de son âge, sauf en cas de danger imminent. Les exploitants des centrales nucléaires sont très attachés à ce cadre légal, car ils espèrent pouvoir retirer un maximum de cash le plus longtemps possible en procédant à un minimum d’investissements pour la sécurité.
Tant qu’il était question de construire des nouvelles centrales nucléaires pour remplacer les anciennes, cette question n’était pas brûlante. En effet, c’est la date d’inauguration des nouvelles centrales qui aurait déterminé l’extinction des anciennes. Avec la décision de s’engager dans la transition énergétique, et donc de renoncer au nucléaire, la question de l’âge maximum des centrales vieillissantes devient brûlante. Le vieillissement des matériaux soumis aux radiations accentue en effet les problèmes de sécurité. Or, dans le nucléaire, le moindre accident peut avoir des conséquences catastrophiques. Si les CFF mettent au rancard des vieilles locomotives de 50 ans, on se demande bien pourquoi l’on exploiterait une centrale nucléaire 70 ou 80 ans.
Lors des auditions en commission, l’Inspectorat fédéral de la sécurité nucléaire (IFSN), pourtant peu suspect d’antinucléarisme primaire, nous a clairement confié qu’il manquait d’instruments légaux pour forcer les exploitants à maintenir un niveau de sécurité suffisant jusqu’au dernier jour. Sur cette base, les partis membres de l’alliance pour la sortie du nucléaire ont décidé qu’il était nécessaire de muscler le projet du Conseil fédéral. Au terme de plusieurs mois de discussions, nous avons pu nous mettre d’accord sur la solution suivante : après 40 ans d’exploitation, les exploitants doivent déposer un plan d’exploitation à long terme qui garantisse une marge de sécurité croissante pour compenser le vieillissement du matériel. Ce plan peut être approuvé pour 10 ans au plus. Après 10 ans, la procédure doit être répétée. Autrement dit, cela signifie que, dès la quarantième année, les centrales nucléaires passent d’un régime d’autorisation illimitée à un régime d’autorisation de 10 ans renouvelable.
Par rapport au régime d’autorisation illimitée sans condition qui prévaut actuellement, c’est un progrès important. Il force les exploitants à investir s’ils veulent absolument prolonger la durée de vie de leurs centrales. Ou alors à fixer volontairement une date d’arrêt proche qui leur permette de renoncer à des rééquipements. Économiquement, cette seconde option devient très attractive. C’est une des raisons pour lesquelles les Forces motrices bernoises ont décidé d’arrêter la centrale de Mühleberg en 2019, et ceci même avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l’énergie nucléaire.
En commission, les socialistes ont tenté de convaincre une majorité de ses membres qu’une durée de vie maximale de 50 ans devait être fixée dans la loi, du moins pour les vieilles centrales nucléaires. Une telle disposition permettrait enfin d’arrêter les deux réacteurs de Beznau en 2019 et 2021. S’agissant de la plus ancienne centrale nucléaire encore en service dans le monde, il faut vraiment souhaiter que cette minorité, représentée par notre camarade argovien Max Chopard, l’emporte au plénum du Conseil national. Mais même si cela ne devait pas être le cas, le dispositif introduit par la Commission du Conseil national représente une amélioration pour notre sécurité et favorise la mise hors service des centrales vétustes plus rapide que sous le droit actuel.