L’initiative sera facile à contourner par des externalisations.
Non, ce n’est pas si simple. Depuis l’acceptation de l’initiative Minder, il est interdit pour une société suisse d’être dirigée par une personne morale différente (Art. 95, al. 3, let. b: “La gestion de la société ne peut pas être déléguée à une personne morale”). Ceci limite très fortement l’externalisation de la direction que brandissent les opposants.
Pour ce qui est des tâches plus standardisées, comme le nettoyage, la maintenance informatique ou le secrétariat, la réponse est tout aussi simple: les tâches qu’il était économiquement avantageux d’externaliser le sont déjà (malheureusement). C’est le cas, par exemple, du nettoyage. Pour les autres tâches évoquées, si elles ne sont pas externalisées actuellement, c’est parce que le coût économique est trop important ou qu’il n’est pas possible, pour des motifs de protection des secrets d’entreprise par exemple, de le faire.
Enfin, quant à la possibilité de scinder artificiellement une entreprise en « morceaux » pour contourner la loi, il est assez facile de prévoir des mécanismes pour l’éviter. Actuellement, par exemple, la Confédération et les cantons luttent contre le phénomène des faux indépendants, c’est-à-dire des indépendants qui n’ont en fait qu’un client (et qui devraient donc être salariés). Ce phénomène peut concerner, potentiellement, un très grand nombre de personnes. La lutte contre les fausses scissions d’entreprise sera probablement plus facile, puisque le nombre de cas d’abus possible est fortement limité à environ un millier d’entreprises. Cet argument est donc de très mauvaise foi.
L’initiative engendrera une bureaucratie désastreuse.
Non, car la loi d’application sera écrite par un Parlement de droite qui déteste la « bureaucratie » et sait très bien l’éviter…
Plus sérieusement, il existe de nombreuses pistes pour un contrôle efficace. On peut par exemple imaginer que les commissions tripartites (qui mettent en œuvre les mesures d’accompagnement aux bilatérales dans les secteurs sans convention collective) ou les commissions paritaires (qui veillent à l’application des conventions collectives) soient également chargés de faire des contrôles ponctuels du respect de la règle 1:12.
Pour rendre la chose dissuasive, il suffit d’inscrire dans la loi que la sanction en cas de non-respect, en plus d’une amende, consiste à payer à tous les salariés de l’entreprise la différence entre leur salaire et un douzième du salaire le plus haut. Ca devrait suffire à décourager les tricheurs.
L’initiative diminuera les recettes des assurances sociales.
Soyons clairs: si la masse salariale diminue, les recettes de l’AVS, qui sont perçues de la même manière sur tous les salaires, diminuent. Pour d’autres institutions telles que l’assurance-chômage, les choses sont plus compliquées: une petite hausse des salaires bas et moyens et une petite baisse des hauts salaires rapportera beaucoup plus de cotisations – c’est dû au fait qu’on cotise à plein jusqu’à 126’000 francs de salaire, et moins ensuite.
Y aura-t-il donc diminution de la masse salariale? C’est évidemment difficile à prévoir. Le Conseil fédéral lui-même l’a dit: on ne peut pas savoir comment les entreprises s’adapteront une par une. Il est probable que la réalité soit intermédiaire: la masse salariale diminuera un peu, et les salaires du bas de l’échelle monteront un peu. Quels seront les effets? Avec une masse salariale plus faible, les bénéfices augmenteront, donc l’impôt sur le bénéfice perçu augmentera, comme l’a par exemple reconnu le canton de Zoug. On peut imaginer de rediriger ces recettes sur l’AVS. De l’autre côté, même une petite augmentation des plus bas salaire fera fortement augmenter les recettes de la TVA: si un salarié qui gagne 4500 francs reçoit 300 francs de plus par moi, il va probablement s’en servir pour améliorer un peu son niveau de vie en achetant des choses, soumises à la TVA. Là aussi, on pourrait imaginer de rediriger une partie de ces recettes nouvelles vers les assurances sociales.
L’initiative entraînera des délocalisations.
La plupart des grandes entreprises multinationales suisses profitent si fortement de nombreux autres avantages de la Suisse qu’il y a fort à parier qu’elles ne prendraient pas le risque, et ne souhaiteraient pas dépenser l’argent que représente une délocalisation. Les banques y perdraient la garantie de l’Etat dont elles disposent de facto. Les entreprises de la pharma y perdraient les conditions particulières dont elles disposent. Les entreprises industrielles risqueraient de perdre le savoir-faire patiemment accumulé.
La Suisse offre et continuera d’offrir un des meilleurs niveaux de stabilité économique, de qualité de la main-d’œuvre, de sécurité du droit, de capacité des infrastructures dans le monde. Nous avons besoin des entreprises qui apportent de la prospérité aux habitants, et non pas de profiteurs vivant uniquement de conditions spéciales et profitant de l’absence de règles.
L’initiative est une insulte au partenariat social.
L’initiative n’attaque pas le partenariat social. Celui-ci est important, mais il s’inscrit dans le cadre de règles. L’AVS, la prévoyance professionnelle, le nombre de jours de vacances, le maximum d’heures travaillées dans une semaine: autant de choses qui ne sont pas réglées entre les partenaires sociaux, mais par la loi. Avec l’initiative 1:12, on ajoute simplement une dimension à ce cadre général. Les discussions entre employeurs et salariés pourront se poursuivre de la même manière, sans la pression sur les salaires due aux rémunérations très élevée de quelques-uns.
La Suisse est déjà un pays égalitaire, les salaires augmentent pour tout le monde.
Non, c’est malheureusement faux. Les salaires des 20% des employés les mieux rémunérés ont connu une progression allant de 17 à 39% entre 1996 et 2010. Pour les 90% des plus bas salaires, la progression a été entre 6 et 9%. Ces chiffres viennent de l’Office fédéral de la statistique.
Le chiffre de 1:12 est arbitraire.
Oui, il y a une part d’arbitraire dans ce chiffre, mais il a le mérite de permettre une explication simple: personne ne doit gagner en un mois plus que ce qu’un autre met une année à gagner, dans la même entreprise. La loi doit sans cesse fixer des chiffres pour poser des limites, c’est le cas là aussi. Mais si les opposants estimaient que 1:15 ou 1:20, par exemple, étaient les bons ratios, ils auraient pu, avec leur majorité au Parlement fédéral, proposer un contre-projet. Le peuple aurait pu avoir le choix dans les urnes. Devinez quoi? Ils ne l’ont pas fait.