Grâce à son affiche répugnante, l’UDC est parvenue à revenir dans le jeu médiatique. Le fait qu’elle n’ait rien à proposer pour le pays ne change rien : sa traditionnelle stratégie de stigmatisation pourrait bien s’avérer payante. Les résultats électoraux dans certains pays voisins et outre-Atlantique nous montrent que cette bonne vieille méthode fonctionne.
Vu l’affaiblissement annoncé du PDC et du BDP, il est tout à fait possible que l’UDC et le PLR gardent leur majorité absolue au Conseil national, et que ce camp se trouve finalement aussi renforcé au Conseil des Etats : il suffirait d’une légère du PLR et de la perte d’un ou deux sièges du PDC.
Durant la législature qui s’achève, cette majorité de droite dure a commencé à pousser ses projets, mais de manière relativement brouillonne. En outre, le référendum du PS contre la RIE3 a cassé son élan au moment où son agenda devait décoller. Mais il serait naïf de supposer que si cette majorité se maintient, voire se renforce, elle demeurera aussi maladroite.
En s’appuyant sur plusieurs de leurs lobbys collatéraux, le PRL et UDC ont au contraire un agenda très précis. Voici de mon point de vue leurs sept principaux projets, tous particulièrement dangereux.
1 Privatisation des services de santé
Durant cette session d’automne, les assureurs-maladie vont à nouveau tenter de s’approprier le contrôle du choix des médecins. Ils veulent la maîtrise du pouvoir dans le domaine de la santé, en pénétrant dans le secteur des hôpitaux, ou en s’alliant avec des groupes actifs dans ce marché. Leur objectif est clair : ôter aux cantons tout pouvoir de régulation de l’offre, en particulier sur les hôpitaux et les médecins, pour pouvoir mettre la main sur le secteur. Dans un premier temps, les cantons ne seraient plus que des financeurs qui n’ont rien à dire, ce qui les pousserait peu à peu à lâcher leurs hôpitaux. Bien entendu, les assureurs ne sont pas intéressés aux cas complexes des malades chroniques. Ils cherchent au contraire à capter les cas lucratifs et pas compliqués. Grâce à plusieurs référendums, nous sommes parvenus à freiner cette logique du profit. Mais ils avancent pas à pas, pour mettre en place un système de santé qui ressemble de plus en plus à celui des États-Unis : le pays développé où le secteur de la santé absorbe la part la plus élevée du PIB (17%), mais dans lequel de larges parts de la population n’ont pas accès aux soins et sont en mauvaise santé. Comme plusieurs lois sont actuellement en discussion au Parlement, ils ont d’ores et déjà ralenti le rythme de délibération dans l’espoir de pouvoir, après les élections, imposer immédiatement leur agenda.
2 Éviscération de la politique climatique
Si le récent virage de la direction du PLR est probablement sincère, l’attitude de la base du groupe PLR au Conseil national n’a pas changé. Les lobbys qu’il représente sont toujours les mêmes, et ce parti n’arrive pas à se détacher du sillage de l’UDC et de son président Albert Rösti, également bienheureux président de Swissoil. En plus, l’idéologie ultralibérale du PLR l’empêche d’admettre que les marchés de l’énergie sont largement dysfonctionnels et ne sont pas à même de déclencher suffisamment d’investissements dans le parc de production électrique.
Prétextant garantir des coûts plus bas, ces deux partis vont tenter de faire en sorte que la Suisse ne réduise pas sa consommation d’énergie fossile, mais achète des réductions d’émissions à l’étranger, une démarche qui rappelle les trafics d’indulgences du moyen-âge. Avec le même argument, ils vont favoriser une stratégie d’importation d’électricité au lieu d’une stratégie de stimulation des investissements en Suisse. Tout à fait concrètement, il leur suffira de couper les objectifs et les moyens de la politique du climat et l’électricité. C’est précisément ce qu’il ont fait en décembre 2018 lors du débat sur le climat au Conseil national. Certes, les promesses rendent les fous joyeux, mais il ne faut pas être naïf. Quelques pirouettes avant les élections ne changeront pas leur ligne historique. Le retour de la Loi sur le CO2 au Conseil national et la future révision de la loi sur l’approvisionnement en électricité leur permettra des 2020 de faire dérailler le virage énergétique et climatique. S’ils disposent des majorités pour cela au Parlement.
3 Allégement fiscal pour les grandes banques et les holdings
La suppression complète du droit de timbre pour les émissions par les banques était à l’agenda de la seconde moitié de la législature. Le référendum lancé par le PS contre la RIE III et l’impérative nécessité de trouver une solution de remplacement acceptable (RFFA) a forcé l’UDC et le PLR à ranger provisoirement l’abolition du droit de timbre sur une voie de garage.
Mais le projet n’est que gelé et sera ressorti des tiroirs si les majorités se droitisent un peu. Dans l’intervalle, et d’une manière beaucoup plus discrète, l’UDC et le PLR ont mis sur les rails un mécanisme pervers en marge de la révision du droit de la société anonyme. Il s’agit d’une espèce de « pompe à agio » qui permet, en jouant sur l’extensions et la contraction du capital propre, de sortir de l’argent des holdings sans payer d’impôt sur les dividendes. Bien évidemment, ce ne sont pas les personnes qui gagnent leur vie en travaillant ou qui dépendent de l’AVS et du deuxième pilier qui en bénéficient, mais les milieux qui vivent de dividendes. Dans ce domaine, les élections impacteront automatiquement l’action politique.
4 Suppression de la participation suisse au marché européen et des mesures d’accompagnement
Avant l’élection d’Ignazio Cassis et de Guy Parmelin au Conseil fédéral, les objectifs du PLR et de l’UDC étaient clairement divergents sur la politique européenne. L’UDC cherchait à casser les accords bilatéraux, alors que le PLR entendait clairement les maintenir. Pour ce faire, ce dernier acceptait le principe des mesures d’accompagnement. Implicitement, le PLR reconnaissait que la protection des salaires était la clé d’une juste répartition des fruits économiques de l’ouverture et garantissait également le consensus politique autour de la participation de la Suisse au grand marché européen.
Le mépris affiché de manière réitérée par Ignazio Cassis envers les mesures d’accompagnement est en train de sectionner la corde qui nous relie à l’Europe. Le discours isolationniste de l’UDC, la fascination du PLR pour le libre échange à la Johnson et à la Mercosur favorise l’initiative de résiliation, en débat lors de cette session des chambres. Dans le pire des cas, cette initiative sera acceptée, projetant la Suisse dans un chaos similaire à celui du Brexit, supprimant au passage les mesures d’accompagnement juridiquement liées à l’accord sur la libre-circulation. Et même si le peuple rejette cette option périlleuse, la consolidation des accords bilatéraux est devenue très difficile.
Pour pouvoir avancer de nouveau de manière constructive dans ce dossier, il est décisif de repartir sur de nouvelles bases et de remettre les mesures d’accompagnement au cœur du dispositif, car celles-ci assurent la confiance de la population suisse envers l’ouverture. Si l’UDC et le PLR se renforcent aux élections, c’est l’inverse qui se passera. Après un « swissxit » brutal ou progressif, la Suisse voguera alors seule sur le frêle esquif du libre-échange mondial, au milieu de la tempête protectionniste déclenchée à Washington.
5 Privatisation des deux premières années d’AVS
Le vieillissement démographique est un problème sérieux et le peuple suisse l’a bien compris, en acceptant le financement additionnel de l’AVS dans le cadre du projet RFFA. Mais la volonté obstinée des milieux économiques et de la droite du Parlement d’augmenter l’âge de la retraite ne s’explique pas du tout par le désir de consolider les finances de l’AVS. Il s’agit au contraire de diminuer la solidarité. En effet, pour les personnes à revenus modestes et moyens, la somme de la rente AVS est supérieure aux cotisations payées par la personne. Autrement dit, les rentes sont largement financées par les revenus élevés et très élevés. En repoussant à 67 ans l’âge de la retraite, les milieux économiques et les partis bourgeois essayent de diminuer la solidarité. Concrètement, cela correspond à une forme de privatisation des deux (ou trois) premières années de retraites pour les milieux modestes et la classe moyenne. En effet, le report de deux ans de l’âge ordinaire de l’AVS signifie que la somme des rentes qu’une personne touche diminue en moyenne de 10 %. Pire : si ces personnes doivent malgré tout partir à 64 ou 65 ans à la retraite parce que qu’elles n’ont plus d’emploi, elles devront financer elles-mêmes leur existence pendant ces deux ans ou accepter une baisse de 14% de leur AVS. Ce rabotage s’ajoutera à l’affaiblissement structurel du deuxième pilier.
Concrètement, le message sur l’AVS adopté fin août 2019 par le Conseil fédéral offrira le vecteur à la droite parlementaire pour tenter une nouvelle fois de faire pencher la balance en faveur du deuxième pilier et au détriment de l’AVS. Bien sûr, il est possible de lancer le référendum contre une telle modification, mais l’issue d’une votation n’est jamais certaine et les aventuriers de l’antisocial vont à nouveau tenter leur chance.
6 Relance des constructions autoroutières.
Lors de la session de printemps 2019 du Conseil national, le rouleau compresseur UDC et PLR nous a montré ce dont il était capable : ces deux partis ont fait passer une proposition d’ajouter l’autoroute de l’Oberland zurichois dans les projets 2020-2023. Comme cette proposition n’était pas chiffrée, il a fallu interrompre le débat pour la renvoyer en commission. Au final, le Conseil des Etats est parvenu à stopper ce délire, en estimant qu’il était hors de question de décider de la construction d’une nouvelle autoroute sans disposer du moindre devis.
Cet épisode doit nous alerter, car il préfigure ce qui pourrait se passer si, contrairement aux prévisions optimistes, l’axe PLR – UDC se renforçait. Comme il y a tous les quatre ans un message sur les projets autoroutiers et que le financement est désormais garanti par la Constitution, ils pourraient sans trop de difficultés provoquer un véritable festival de constructions autoroutières. Le récent refus d’entrée en matière sur la deuxième étape de la loi sur l’aménagement du territoire montre que la prévention du bétonnage demeure le cadet de leurs soucis. Ici aussi, l’agenda joue pour eux, et il serait très surprenant qu’ils n’en profitent pas si les rapports de force le leur permettent. Leur slogan est tout simple : make car great again.
7 Maintien du franc un niveau très fort
Confronté à une situation monétaire internationale très difficile et à une situation économique globale précarisée par les guerres commerciales et le Brexit, la Banque nationale suisse peine à stabiliser le niveau du franc. Cette situation provoque au moins deux problèmes graves :
- Le niveau très élevé du franc favorise la désindustrialisation de la Suisse.
- Les taux d’intérêt négatifs adoptés pour limiter cette même hausse du franc sont absolument désastreux pour les caisses de pension et le rendement de leurs placements.
Face à cette situation compliquée, les idéologues néolibéraux de l’UDC et du PLR bloquent le seul remède envisageable, à savoir la stimulation de l’investissement public et privé en Suisse, dans des infrastructures de la transition énergétique. Au lieu de poursuivre le désendettement systématique de la Confédération, il conviendrait de consacrer une partie du surplus fédéral au cofinancement des investissements privés en particulier dans l’assainissement énergétique des bâtiments, dans l’assainissement de la mobilité et de la production d’électricité renouvelable. L’intérêt des aides publiques à l’investissement dans ce domaine est de déclencher également des investissements privés. Ce sont autant de capitaux qui trouveront preneur dans des investissements sensés. Cela soulagera la pression exercée par les capitaux en quête de placement en Franc suisse. Malheureusement, la majorité neolibérale bloque complètement ce type de proposition. Pourtant, le bénéfice serait à la fois économique et climatique.
Les élections décisives
Ces sept dossiers ne sont pas les seuls, mais ils sont emblématiques des risques que font courir à la Suisse une nouvelle législature dominée par l’UDC et le PLR. Les récentes manœuvres du PLR pour se parer de vert, et la tentative de l’UDC de relancer la stigmatisation des étrangers et des autres partis politiques relèvent de la même opération d’enfumage. L’objectif est de rendre les positions aussi floues que possible dans le domaine social, économique et environnemental, et de faire en sorte que la campagne électorale ne se déroule pas sur les vraies questions. Si leur stratégie réussit, ils garderont la majorité au Conseil national et la conquerront aux Etats.
Ce qui se joue le 20 octobre, c’est un choix entre une Suisse de l’équilibre, solidaire, écologique et interconnectée d’une part, et une Suisse qui se mettrait dans le sillage des aventuriers du populisme de droite, que l’on peut voir à l’œuvre en Angleterre, au Brésil ou aux États-Unis. Sauf que la Suisse n’est pas une moyenne ou une grande puissance, et qu’il est douteux qu’elle bénéficie de cette logique de rapports de force, qui, de surcroît, n’est pas ce que nous voulons pour l’avenir de l’humanité.
Vu le contexte et la dynamique internationale de ces trois dernières années, nous sommes à un tournant : si la Suisse casse sa politique climatique, s’isole du continent européen et détruit ses mécanismes de solidarité interne, les effets seront durables bien au-delà de la législature qui s’ouvre.
A quelques semaines des élections, rien n’est joué. Une seule chose est sûre, les enjeux cachés du scrutin sont considérables.